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conjointement avec un projet de loi sur la durée du service militaire. Le lendemain, il s’efforça de convaincre la commission du budget « que le renforcement de l’armée était aussi nécessaire que le pain. » Il fit entrevoir, autant que cela était prudent, que cette réorganisation était imposée par la prévision de la guerre qui dénouerait fatalement le dualisme des deux grandes puissances de la Confédération. « La Prusse doit recueillir ses forces pour le moment propice, que déjà plus d’une fois on a laissé échapper. Les frontières données à la Prusse par le Congrès de Vienne ne sont pas bonnes pour le corps d’un État sain et valide. Ce n’est point par des discours et des votes de majorité que les grandes questions de notre temps seront résolues (ce fut là l’erreur de 1848 et de 1849), c’est par le fer et le sang. » Il exprima sa ferme volonté de maintenir ce qui en fait était déjà consommé : il n’avait pas accepté l’héritage sous bénéfice d’inventaire, il se sentait responsable du passé. Il montra sans déguisement les conséquences de l’obstination du Landtag : l’accord des trois pouvoirs législatifs étant exigé par la Constitution pour l’établissement du budget, si l’un des pouvoirs refuse son assentiment, alors il y a tabula rasa et il résulte de là un droit de nécessité pour le gouvernement de continuer à administrer sans budget[1].

La presse reproduisit bruyamment ces déclarations dont elle ne mit en lumière que le côté agressif. Il n’y avait plus à en douter, le nouveau ministre serait un Strafford ou un Polignac préparant à son roi le rôle de Charles Ier ou de Charles X. La reine Augusta partageait ces appréhensions et les exprima vivement à son mari venu à Baden pour célébrer le jour de son anniversaire. Bismarck, le devinant, alla à la rencontre du Roi à sa rentrée à Berlin. Il l’attendit longtemps dans la gare inachevée de Jüterbogk, assis sur une brouette renversée, dans l’obscurité. Il le découvrit dans un compartiment de première classe, seul, préoccupé. Il lui raconta ce qui s’était passé dans la commission du budget, ce qu’il avait dit, et lui exprima sa ferme volonté de faire ce qu’il avait annoncé. Il suffisait de montrer au Roi un champ de bataille, un devoir d’officier à remplir, un poste à défendre jusqu’à la mort, sur l’ordre de son chef hiérarchique. Dieu, pour qu’il n’hésitât pas. Les impressions de Baden s’effacèrent aussitôt et, quoi qu’on ait fait, quoi qu’on ait dit depuis, il a conservé sa

  1. Commission du budget, 30 septembre 1862.