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de n’y pas toucher. — Je ne puis m’embarrasser de ce que l’on vienne me dire que cela contrarie les théories juridiques : avec les théories juridiques, on ne peut faire de la politique extérieure. — Ce que j’ai dit m’est parfaitement indifférent. — Jamais encore je ne me suis refusé à une modification d’opinion quand les circonstances m’y obligeaient. — Je subordonne quand il le faut mes opinions personnelles aux nécessités de l’État. — J’ai acquiescé à mainte chose qui ne correspondait pas à ma conviction politique. — La popularité rend pour moi une chose plus douteuse et m’oblige à demander encore une fois dans ma conscience : cette chose est-elle effectivement raisonnable ? car j’ai vu trop souvent qu’on rencontre des acclamations quand on est dans la fausse voie[1]. »

On lui prête la maxime : la force prime le droit. Il avait trop d’esprit pour dire ce non-sens. S’il existe deux entités différentes, le droit et la force, nul homme raisonnable n’attribuera la primauté à la force. Bismarck ne l’a pas fait ; il a simplement répété le lieu commun de Grotius : « Dans les conflits européens pour lesquels il n’y a pas de tribunal compétent, le droit ne peut se faire valoir que par les baïonnettes[2]. » S’il n’avait pas cru oiseux ou imprudent de formuler sa véritable pensée, il eût dit ce qu’attestent tous ses actes, que la force est, selon la doctrine de Proudhon, le Dieu unique du monde, et qu’en dépit de la lamentation des hommes vertueux et sensibles, elle crée le droit[3]

Il a soutenu constamment deux luttes à la fois, l’une contre le Parlement, l’autre contre la Cour, la reine Augusta et les princes royaux. Chacune d’elles lui a inspiré une rancune particulière. La lutte contre le Parlement lui a laissé l’aversion dés orateurs, celle contre la Cour, l’antipathie des princes. Il exprime la dernière moins bruyamment que la première, mais il ne la ressent pas moins.

« Le christianisme seul peut détacher les princes de cette idée familière à la plupart d’entre eux, qu’ils doivent profiter de leur

  1. Discours du 28 janvier 1886 ; Discours du 29 Janvier 1886 ; Discours du 28 novembre 1881 ; Discours du 11 mars 1864, du 29 janvier 1886 ; Discours du 3 décembre 1875 ; Discours du 12 février 1885 ; Discours du 17 décembre 1873 ; Discours du 4 mars 1879 ; Discours du 12 juin 1882,
  2. Discours du 27 janvier 1864 et du 12 juin 1862.
  3. . Bismarck à Goltz (Bismarck-Jahrbuch, t. V, p. 251), 24 décembre 1863 : « Ce sont justement des traités européens qui créent le droit européen ; si l’on voulait y appliquer le critérium de la morale et de la justice, il faudrait les abolir à peu près tous. »