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jusque dans sa chambre à coucher, il y avait de petits soldats en plomb ; il s’était entouré d’un cabinet militaire dont le chef ne le quittait jamais et avec lequel il travaillait plusieurs heures par jour, sans compter les conférences assidues avec le ministre de la Guerre ou avec le chef de l’état-major général, contrairement à l’usage ancien qui soumettait exclusivement cet officier au ministre de la Guerre. Il se considérait comme l’inspecteur permanent de son armée ; partout où il passait, il procédait à une revue. Son arrivée sur le front d’une troupe était imposante : Il portait la main à son casque et d’une voix forte il criait : « Bonjour, 1er de uhlans, » par exemple, et comme un roulement de voix courait par les rangs : « Bonjour, Majesté ! »

La réforme militaire fut la première pensée de son gouvernement. Avant de toucher aux institutions, il chercha les hommes de taille à les transformer ; il en trouva deux de premier ordre, Roon et Moltke.


II

Roon et Moltke étaient à peu près contemporains[1], tous les deux fils de soldats, nés dans une famille pauvre, de parens en désaccord ; tous les deux se frayant un chemin à la force du poignet, par le travail, la bonne conduite, le succès aux examens, l’estime des chefs ; tous les deux, professeurs et écrivains[2] ; tous les deux ne cherchant, en dehors du travail, la force et la distraction que dans la famille : « Mon plus grand bonheur, écrivait Moltke, c’est ma petite femme : décidée, ferme, n’ayant rien de superficiel, rarement triste, jamais maussade. Quel trésor je possède ! » Roon, dans une visite chez un pasteur, père de huit enfans, rencontre la fille aînée, âgée de dix-huit ans, aux yeux bruns rayonnant d’une grâce gaie, simple et charmante ; il la regarde, la salue, et, le lendemain, la demande en mariage. « Elle a été, a-t-il dit souvent, la bénédiction de ma vie. »

Le plus sympathique des deux était certainement Roon. Moltke, long, maigre, le visage vigoureusement intelligent et clair, mais

  1. Moltke, né en 1800, Roon en 1803.
  2. Moltke, Histoire de la campagne russo-turque de 1829. Lettres sur la Turquie. Considérations historiques sur la Belgique. — Roon, éléments de la science des Etats ; un complet, l’autre abrégé, nommés « le grand et le petit Roon. » — Géographie militaire de l’Europe, Péninsule ibérique au point de vue militaire.