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Certaines des qualités du roi Guillaume peuvent se rencontrer dans les rois d’un pays quelconque. Il en est de particulières à un roi de Prusse : un roi de Prusse doit être un homme de rapine et de conquête, un esprit tendu à prendre, à s’arrondir sans scrupules, estimant licite ce qui est profitable ; sur toutes choses, il doit aimer la guerre, être un chef d’armée. Guillaume fut un roi de Prusse supérieur : la guerre lui paraissait « le rafraîchissement nécessaire aux peuples » et il se plaignait que la Prusse fût restée aussi longtemps sans la faire ; sa mission lui semblait moins de rendre heureux quelques millions d’hommes soumis à son autorité, que de conquérir l’Allemagne. Il ne savait pas comment ni quand cela arriverait, mais il était certain que cela serait et qu’il devait travailler à ce que cela fût. Il se montra toujours « moult convoiteux et enclin à gaigner, » selon ce qu’au dire de notre Froissard était tout bon Allemand. Le 20 mai 1849, il écrivait : « Quiconque veut gouverner l’Allemagne doit la conquérir, cela ne se fait pas à la Gagern[1]. Dieu seul sait si le temps de cette Unité est déjà venu. Que la Prusse soit destinée à se trouver à la tête de l’Allemagne, cela ressort de toute notre histoire, mais quand et comment y sera-t-elle ? Cela dépend. »

L’observance des règles de loyauté auxquelles il s’astreignait dans son gouvernement intérieur lui eût semblé un manque au devoir dès qu’elle était un obstacle à l’agrandissement de son royaume. Alors il trouvait toutes naturelles, toutes saintes, des duplicités dont son âme de gentilhomme aurait eu horreur s’il s’était agi d’un intérêt personnel. Il pratiquait les hypocrisies nécessaires du conquérant providentiel avec la grâce volpine du faux bonhomme, et il possédait le don facile des larmes opportunes. Tout cela se marquait sur son visage empreint d’une majesté bienveillante, qui imposait le respect et inspirait l’attrait, mais que traversait, dès qu’il s’animait, l’éclair fauve d’un œil de renard aux aguets.

Son frère avait entrevu l’avenir de la Prusse dans les nuages d’une fantaisie de rêveur ; lui le chercha dans les réalités pratiques d’une organisation militaire. Il eut toujours présente la maxime du grand Frédéric : « Si jamais on négligeait l’armée, c’en serait fait de ce pays-ci[2]. » Dans son château de Babelsberg,

  1. Cela veut dire par des sentimentalités et des déclamations oratoires.
  2. Au prince Henri, 4 mai 1767.