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sentait admirablement l’ancien conseil. Ses adversaires mêmes, s’ils avaient été obligés de parier, l’auraient fait en faveur de sa réélection. Et voilà que M. Lucipia, quelque considérable qu’il fût depuis longtemps, a été battu au second tour de scrutin par un professeur de l’Université, à peu près inconnu la veille. D’où étaient venues à M. Dausset cette notoriété et cette popularité si rapides ? Il avait activement travaillé à l’organisation de la Ligue de la Patrie française, et il avait été frappé par M. le ministre de l’Instruction publique. Celui-ci, quelques jours auparavant, avait écrit une circulaire pour interdire à tous les professeurs toute manifestation politique. Il y aurait beaucoup à dire sur cette circulaire : nous dirons seulement que, dans la pratique, elle a paru faite pour les uns et non pas pour les autres. Telle manifestation était permise, ou tolérée ; mais telle autre était interdite et sévèrement réprimée. L’inégalité était choquante. M. Dausset a pu se présenter au suffrage universel comme une victime ; il a été élu, et M. Lucipia est resté sur le carreau. Ce n’est pas le seul candidat que le ministère, avec son habileté de doigté, a désigné aux suffrages des électeurs : trois des accusés devant la Haute Cour, à la vérité acquittés par elle, sont passés presque sans transition du Luxembourg à l’Hôtel de Ville, où ils ont trouvé, pour leur porter les armes, les mêmes gardes de Paris qui, peu de mois auparavant, les retenaient prisonniers. Au reste, le gouvernement a bien voulu reconnaître qu’il avait été battu à Paris, mais il s’est efforcé de diminuer l’importance de cet échec en assurant qu’il avait pris brillamment sa revanche en province. Il n’est pas vrai du tout que les élections de province puissent être présentées comme une compensation, et encore moins comme une contre-partie de celles de la capitale. Elles ont été autres, plutôt que différentes. En province, sauf dans un petit nombre de grandes villes ou de régions gagnées au socialisme, on a fait simplement des élections municipales : ce n’est guère qu’à Paris qu’on a fait des élections politiques. M. Waldeck-Rousseau a affirmé que la plus grande majorité des élections départementales étaient républicaines. Sans doute. Mais il y a eu sur toutes les lèvres un sourire de scepticisme, lorsqu’il a paru ajouter que toutes ces victoires républicaines étaient des victoires ministérielles, et qu’il les a comptées hardiment à son actif. La République et le ministère restent encore deux choses distinctes.

Le jour même de la rentrée des Chambres, M. le Président du Conseil s’est fait interpeller par un ami. Cette mode des questions ou des interpellations officieuses tend à se généraliser, peut-être au détriment du sérieux de nos mœurs parlementaires. Un ami, on le pense bien, ne