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ans, subit une dépréciation de moitié : de 14 francs le kilogr., il tomba à 7. La crise ne fut pourtant pas aussi désastreuse qu’on pouvait le craindre. La solidité, l’éclat et la délicatesse de nuances de ce carmin naturel lui ont conservé une place privilégiée dans les industries de luxe.


III

L’issue n’a pas été aussi favorable en ce qui concerne une autre de nos industries agricoles, qui, après avoir enrichi quelques régions de notre pays, a succombé enfin devant la concurrence de l’industrie chimique. Nous voulons parler de la garance. C’est, comme l’on sait, une sorte de ronce, Rubia tinctorum, herbacée vivace, à tige rameuse et couverte d’aspérités, dont la racine, nommée alizari dans le commerce, possède une écorce rouge, riche en principe colorant. Aux environs de 1870, sa culture couvrait des champs immenses, en Vaucluse et dans les départemens limitrophes. Aujourd’hui, l’on n’en trouve plus de trace dans toute cette région du Sud-Est de la France où son exploitation avait été si prospère. La récolte de la garance, dans le département de Vaucluse et dans les pays voisins, avait atteint, en 1872, le chiffre de 23 000 tonnes. En 1876, elle descendait progressivement à 14 000 tonnes : l’année suivante, elle tombait à moitié, 7 000 tonnes. En 1881, elle était réduite à 500 tonnes. C’était la fin de la lutte. Un an plus tard, on pouvait dire que la culture de la garance avait disparu.

C’est encore une découverte de la chimie synthétique qui avait ruiné cette florissante et ancienne industrie de notre sol. C’est le brevet qu’avaient pris, le 18 décembre 1868, deux chimistes allemands, Grœbe et Liebermann, pour la préparation de l’alizarine artificielle, c’est-à-dire du principe colorant de la garance. Quelque temps après, ils apportaient leur découverte à l’une des plus puissantes sociétés de l’industrie chimique allemande, la Société Badoise (Badische Anilin und Sodafabrik). De ce jour, comme le dit M. Jaubert, la garance naturelle avait vécu ! Elle était tout au moins condamnée à disparaître à bref délai : sa mort n’était qu’une question de temps. Ce fut l’affaire d’une dizaine d’années. Les producteurs de garance naturelle luttèrent désespérément, en essayant d’améliorer leur rendement et en abaissant leurs prix. Les racines de garance qu’ils vendaient