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Veritatis de son prédécesseur ? Était-ce un chercheur d’originalité que ce Watteau qui, dit Caylus, « copiait et étudiait avec avidité les plus beaux ouvrages du maître d’Anvers, » qui écoutait les conseils de maîtres comme Métayer, comme Gillot, comme Claude Audran, peintre qui était surtout un concierge, — qui demandait en grâce aux membres de l’Académie les moyens d’aller étudier à Rome ? Prétendait-il détruire avec son art toutes les règles établies, cet esprit timide et inquiet qui avait toujours, disent ses biographes « le dégoût de ses propres ouvrages et trouvait toujours qu’ils étaient payés beaucoup plus qu’ils ne valaient ? » — cet homme qui donnait à son coiffeur deux tableaux pour une perruque et craignait encore, en conscience, que ce ne fût pas assez ? Tous les deux enfin, Turner et Watteau, ressemblaient-ils aux bruyans révolutionnaires modernistes, eux qui, aussi jaloux de cacher leur personne que de perfectionner leur art, changeaient constamment de logement pour échapper aux curiosités indiscrètes, qui, pendant tout le cours de leur vie, furent hantés par les modèles laissés par les maîtres, tous deux impatiens, inquiets, doutant de leur mérite et ne souffrant guère qu’on attaquât celui de leurs prédécesseurs, tous deux mourant isolés, non comme des chefs d’école, mais bien comme de véritables originaux, grands inconsciens qu’ils étaient : l’un déplorant qu’on eût si mal sculpté le crucifix que le prêtre lui donnait à embrasser, l’autre tournant dans la mansarde de Chelsea ses derniers regards vers les derniers rayons du couchant en murmurant : « Le soleil est Dieu ! »

Tel fut Watteau, tel fut Turner, ces lourds constructeurs d’ombres charmantes, ces grands casseurs de vitres et ces prodigieux appelans de rêve. L’Embarquement pour Cythère était bien le départ pour une terre nouvelle d’art et de poésie. Les Funérailles en mer du peintre Wilkie étaient bien l’ensevelissement de toute une peinture vieillie et d’un idéal mort. Mais ceux qui firent ces révolutions ne se doutaient pas qu’ils les faisaient. Ils croyaient de bonne foi suivre la grande route quand ils frayaient des trouées nouvelles. Ils ne croyaient qu’agrandir un ancien domaine quand ils découvraient des mondes...

Leur exemple est un enseignement. L’exemple contraire qui nous est fourni par les modernistes le confirme. C’est que, chez les « jeunes, » le mépris est un mauvais véhicule, non seulement pour tout talent, mais pour tout progrès. Une réforme, qui se présente avec plus de négation que d’affirmation, n’est qu’une