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pour oser une réforme, un artiste vigoureux et puissant, rompu à toutes les pratiques antérieures de son art. Le goût étant essentiellement hostile à toute réforme, on n’osait point la tenter aussi longtemps qu’on n’avait pas en main tous les élémens pour la faire triompher. Tant qu’on ne savait pas à peu près tout ce que savaient ses prédécesseurs on ne s’aventurait pas à leur rompre en visière ni à leur donner des leçons. Aujourd’hui, rien n’est plus facile. Etonner les maîtres suffit à faire penser qu’on est un maître soi-même ; dire du mal de l’Institut dispense d’avoir du talent. Le goût étant aux innovations, à l’agitation et à l’oscillement perpétuel, la presse tressant des couronnes à n’importe quel pseudo-novateur, beaucoup innovent quand ils devraient copier encore et enseignent un métier nouveau quand ils agiraient sagement en apprenant l’ancien. Il en résulte parfois des tentatives curieuses, intéressantes pour le progrès d’une technique, mais point assez complètes pour la réalisation d’une œuvre et, au bout de quelques années, le mouvement avorte ou se perd en excentricités, pour avoir été entrepris trop tôt, par des bras trop faibles et dans un sentiment trop étroit.

L’impressionnisme avait un sentiment trop étroit. Il niait trop de vérités essentielles dans une œuvre d’art et celle qu’il apportait n’était pas suffisante pour tenir lieu de toutes les autres. Ce qu’il affirmait c’était la nécessité de la couleur vive, ce qu’il niait c’était l’utilité de la ligne. Il la niait, et il ne sert de rien, pour le contester, de prétendre que M. Degas admire Ingres ou que M. Renoir sait dessiner et qu’ils étaient tous deux capables de tracer une ligne impeccable ; toute la question est de savoir s’ils étaient capables de conserver l’éclat et le mouvement de leurs couleurs tout en conservant leurs lignes. Il est fort évident que les impressionnistes pouvaient d’une part dessiner très correctement et d’autre part obtenir des vibrations de couleurs inaccoutumées. Mais la question est de savoir s’ils pouvaient à la fois donner ces vibrations et conserver cette ligne, profiter de leurs recherches et ne rien perdre de leur acquis, appliquer leurs théories sans détruire un enseignement essentiel et en un mot superposer leurs progrès à tous les progrès que la peinture avait faits avant eux. Or les exemples du Grand Palais et de la salle Caillebotte répondent assez clairement à cette question : ils ne le pouvaient pas. Ils n’ont pu réaliser leurs vibrations de couleurs qu’en sacrifiant la ligne ; ils n’ont pu montrer les reflets sur les figures qu’en détruisant la