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et les aspirations de la vie, s’est réduite pratiquement à cacher cette forme sous d’éclatantes couleurs. Et après avoir démontré, par de beaux syllogismes, qu’une gare de chemin de fer était aussi digne d’être représentée que les ruines de Tivoli ou que le temple de Vesta, les modernistes n’en ont pu faire un tableau qu’à la condition d’en brouiller toutes les lignes sous des flots d’une vapeur lumineuse, qui, elle, n’a rien de plus moderne que le soleil d’où elle reçoit toute sa beauté.

De là, leur nom d’Impressionnistes, Ils le prirent, dit-on, pour relever une injure qui leur était adressée par leurs détracteurs et dont ils se firent leur titre de gloire, comme les révoltés des Pays-Bas s’en firent un de l’injure de « gueux. » On la leur jeta comme une pierre : ils s’en parèrent comme d’un joyau. Il se peut que cette histoire soit vraie, mais elle n’est nullement indicative de leur rôle. Si ces peintres méritent le nom d’Impressionnistes, c’est, qu’en effet, ce qu’ils cherchèrent à reproduire de la nature c’était non pas la sensation prolongée qu’elle éveille, mais la surprise, non pas la substance qu’elle annonce, mais le rayonnement. Ils ne prétendaient qu’aux qualités que donne la vision juste, mais hâtive d’un effet éclatant, mais fugitif. Ils ne se chargeaient point de nous donner tout le détail, tout l’agencement, toute la raison d’être des choses, mais seulement l’ « impression. »

Par là, ils se réservaient un avantage que connaissent bien tous ceux qui ont fait des études d’après nature et qui, ensuite, ont voulu les transformer en tableaux. Ce que l’analyse de l’atelier n’arrive pas à débrouiller, la hâte de la pochade le synthétise, ce que le souvenir ne fournit plus, la couleur prise sur le vif devant la nature, le donne. L’ « impression » est une admirable metteuse en scène et ce n’est pas sans raison que Delacroix dans son Journal : en 1859, Champrosay, 9 janvier, se promettait de réfléchir : « Sur la difficulté de conserver l’impression du croquis définitif... »

Inspirés par une idée juste de leur époque, inconsciemment pénétrés du désir de l’idéaliser, servis par des organes très pénétrans et très sensibles ; enfin munis d’une retentissante étiquette, les Impressionnistes, les Jongkind, les Renoir, les Monet, les Pissarro, les Cézanne, les Sisley, pouvaient accomplir dans notre art du XIXe siècle un r6le utile.