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s’écoulait sous les arbres de M. Paul Flandrin, dans la compagnie des pasteurs de M. Gérome ? Quelques-uns, aussi vieux, mais plus sages, considéraient ces paysages inconnus, l’un après l’autre, avec d’obscures velléités de voyage et d’émancipation, comme on se figure les Espagnols du XVIe siècle regardant les vélins que déployaient devant leurs yeux les Juan de la Cosa et les Hojeda, révélation d’un autre hémisphère, terres nouvelles, terres de soleil et d’or... Mais la plupart de ceux qui visitèrent cette exposition, n’y virent qu’une gageure d’artistes affamés de bruit et qu’une fantaisie de jeunes gens pressés de se divertir aux dépens de l’Institut.

Ce n’était cependant pas une gageure. Rien, au contraire, de plus logique, rien de mieux préparé, presque rien de plus inévitable que cette apparente fantaisie. C’était en réalité une réaction et, — en dépit des sujets qui cachaient son sens profond, — c’était une réaction idéaliste. Elle était amenée à la fois par le désir de peindre la vie moderne et par l’impossibilité d’en faire une représentation réaliste. Elle naissait forcément des conditions pittoresques nouvelles de la nature telle que nous l’avons déformée. Elle s’alliait par d’obscures affinités au mouvement analytique de l’esprit contemporain et répondait inconsciemment, quoique fort exactement, aux nouvelles conceptions panthéistes. Ce serait une profonde injustice, que de comparer ces chercheurs à aucun de ceux qui, depuis, se sont disputé le succès d’une saison : les symbolistes, les inquiets, les rose-croix ou les peintres de l’âme, c’est-à-dire proprement de rien. L’impressionnisme apportait aux artistes épris de réalisme et de modernité, le seul moyen d’idéaliser ce réalisme et de sauver cette modernité.

En effet, l’idée qui dominait toute la critique, il y a trente ans, à l’époque du réalisme, était que l’artiste devait peindre son temps. Notre temps, disait-on, est aussi digne d’être représenté par l’art que celui des héros et des dieux. Il n’offre pas des spectacles moins intéressans, ni des formes moins belles. D’ailleurs, il n’y a pas de formes belles en soi : il n’y a que des formes plus ou moins révélatrices de la vie, de la civilisation, du caractère, de la pensée. Si nous trouvons plus beau le péplum que la redingote et plus pittoresque le lampion que le haut de forme, c’est habitude des yeux et mirage du passé. L’usine vaut le temple, l’habit vaut le pourpoint, et la locomotive, le cheval de Phidias. Il n’y a pas de hiérarchie dans les « sites. » A quoi bon faire le voyage