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au-devant des Matabélés, qu’il rencontre à une demi-heure du laager, en nombre formidable. Les Boers sont chevaleresques, même envers les sauvages. Sarel Cilliers veut leur faire comprendre qu’il n’aspire nullement à verser leur sang : il leur parle amicalement, à l’aide d’un Hottentot qu’il a amené comme interprète ; il leur demande pourquoi les Matabélés marchent contre les blancs, qui ne leur veulent aucun mal. Les noirs répondent par leur terrifiant cri de guerre en invoquant le nom de Moselekatse, leur chef. Et les Boers battent en retraite vers le laager, en tenant l’ennemi en respect par leurs coups de fusil.

Rentré dans le laager, Sarel Cilliers convoque tous ses gens et les exhorte à avoir confiance en Dieu. Lui-même a raconté, dans un langage d’une rare simplicité, cette scène émouvante, « Tous s’agenouillèrent, nos femmes et nos enfans aussi, et je suppliai le Dieu infiniment miséricordieux de daigner nous secourir dans notre grande détresse, de ne pas nous abandonner, et de nous fortifier contre l’ennemi. » Puis, le vaillant chef recommanda aux femmes et aux enfans de ne pousser aucun cri, et défendit que personne ne tirât avant qu’il n’eût lui-même fait feu.

Abrités derrière leur rempart de wagons, les fermiers sont décidés à lutter jusqu’à la mort, car ils savent que leur ennemi barbare n’épargnera ni hommes, ni femmes, ni enfans. Après avoir rôdé quelque temps autour du laager, les Matabélés s’élancent vers les chariots avec d’effroyables sifflemens. Sarel Cilliers les laisse s’approcher jusqu’à trente pas, fait feu, et à ce signal convenu, tous les Boers déchargent simultanément leurs armes. Les sauvages, après une minute d’hésitation, s’élancent en colonnes épaisses sur les cadavres des premiers rangs, se baissent sous leurs boucliers de peau, chargent les wagons jusque tout près des roues, et, avec des cris aigus qui dominent presque le bruit des coups de fusil, s’efforcent d’arracher les branches d’épines, et tirent les wagons avec une telle violence, qu’ils les font avancer de plus de six pouces. Les Boers, avec le sang>froid que donne une longue pratique de la chasse, abattent chaque homme qu’ils visent, tandis que les femmes chargent avec le même sang-froid les fusils de leurs maris et de leurs frères. Cette lutte effroyable ne dura pas plus d’une domi-heure, mais les baltes des Boers firent de tels ravages dans les rangs des Matabélés que, finalement, les féroces guerriers se retirèrent avec leur chef Kalipi et s’enfuirent dans la plaine, laissant tes plus braves d’entre eux,