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récits des noirs, race perfide et menteuse, propagés par l’intérêt qu’y trouve une certaine politique. Mais elles s’évanouissent devant le fait indéniable que l’humanité et la générosité des Boers ont de tout temps forcé les respects même de leurs ennemis.

Ce qu’on ne manque pas de leur reprocher, c’est que la question de l’esclavage fut une des causes du grand trek. Mais il faut savoir ce qu’était l’esclavage en Afrique australe. Comme l’a écrit Fronde, l’impartial historien anglais, c’était un esclavage domestique : les abus qui se voyaient dans les plantations des Indes occidentales étaient inconnus au Cap ; les esclaves, attachés à la maison plutôt qu’au sol, n’y connurent jamais la triste condition des nègres d’Amérique ; loin qu’on leur infligeât de mauvais traitemens, ils faisaient en quelque sorte partie de la famille de leurs maîtres, qui s’intéressaient à leur bien-être spirituel et matériel, leur enseignaient la lecture et l’écriture, leur recommandaient l’assistance au service divin, et les initiaient à divers métiers. Certes, il serait absurde de prétendre que jamais esclave ne fut maltraité ; mais ce qui remet les choses au point, c’est le fait révélé par une enquête, que dans l’espace de dix années, il n’y eut pas plus de deux ou trois actes de cruauté ; c’est aussi le témoignage d’un gouverneur anglais, lord Somerset, qui disait, dans une dépêche au comte Bathurst : « Il n’y a peut-être pas, dans les sociétés organisées, d’être plus heureux que l’esclave de l’Afrique du Sud. » « Plus heureux ! » n’était-ce pas beaucoup dire ? En tout cas, il ne faut pas croire que les Boers voulussent à tout prix le maintien de l’esclavage, et longtemps avant le décret d’émancipation beaucoup de propriétaires d’esclaves avaient déjà manifesté le vœu de voir abolir une institution qui ne répondait plus aux idées modernes. En réalité, tous étaient animés du désir sincère de trouver le moyen de supprimer l’esclavage graduellement et sans causer la ruine des colons. Dans une réunion qui eut lieu à Graaf Reinet en 1826, il fut expressément déclaré que « tous les membres de l’assemblée souhaitaient la suppression complète de l’esclavage, pourvu qu’on pût réaliser ce vœu dans les conditions raisonnables. La seule difficulté était le mode d’exécution. » Il n’est donc pas vrai de dire que les Boers aient fait un grief au gouvernement britannique de l’affranchissement des esclaves : ils ne se sont plaints que de l’arbitraire et de l’injustice qui présidèrent à cette mesure.

L’émancipation fut décrétée par la loi du 1er décembre 1834.