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l’attribution du Milanais. Dans une dépêche à Phelypeaux datée du 13 septembre, c’est-à-dire du lendemain même du jour où il envoyait à Vendôme ces ordres formels, Louis XIV insistait sur le mutuel avantage que les deux pays trouveraient au succès de cette combinaison. « Mon intérest, disait-il, est donc conforme au sien (le duc de Savoie)… Une seule difficulté m’arreste. Je ne puis proposer en Espagne que le Roy catholique cède le Milanois au duc de Savoye. Cette difficulté peut cependant estre surmontée si le duc de Savoye trouve le moyen de faire luy-mesme cette proposition en Espagne. S’il veut prendre cette voie, je pourrois traiter en mesme temps de l’échange qu’il me donneroit en acquérant le Milanois, et cependant je trouverois le moyen de satisfaire le roi d’Espagne, de manière qu’on ne me reprocheroit pas de m’estendre à ses dépens[1]. »

À cette proposition Victor-Amédée répondait par l’envoi d’un second mémoire où il faisait observer, avec juste raison, que toute proposition faite par lui en Espagne dans son propre intérêt « s’en iroit en fumée » si le Roi ne l’appuyait. Cependant il se déclarait prêt à dépêcher à Madrid un envoyé extraordinaire sous prétexte de réclamer le payement des sommes dues depuis si longtemps à la Savoie par l’Espagne, mais en réalité pour soulever la question du Milanais. Et Louis XIV de répliquer, le 27 septembre, qu’il considérait ce mémoire comme une marque de déférence pour ses conseils, et que, si l’ambassadeur envoyé par Victor-Amédée voulait passer par Versailles et lui communiquer ses ordres, lui-même réglerait suivant ce qu’ils contiendraient ceux qu’il aurait à donner à son ambassadeur en Espagne pour faire réussir la négociation. Phelypeaux dut être cependant quelque peu surpris lorsque au bas de la dépêche, après la signature, il trouvait cette addition qui, sur la minute, est de la main même de Torcy : « Si pendant le temps de cette négociation M. le duc de Vendosme vous écrit de faire quelques démarches différentes et même contraires à ce que je vous escris, vous les exécuterés préférablement même aux ordres que je vous ay donnés jusqu’à présent. »

Phelypeaux ne devait pas tarder à recevoir le mot de cette énigme. Trois jours après, c’est-à-dire le 1er octobre, un courrier traversait Turin, porteur de deux lettres, l’une pour Louis XIV,

  1. Aff. étrangères, Corresp. Turin, vol. 112. — Le Roi à Phelypeaux. 13 sept.