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communication de Phelypeaux, Victor-Amédée avait fait parvenir à Versailles un mémoire, où il semblait s’abandonner complètement à la générosité du Roi, tout en laissant entendre que l’objet de son ambition demeurait cependant le Milanais. Son langage paraissait changé. « Je n’ay confiance, disait-il à l’ambassadeur d’Espagne, qu’à la protection de Dieu et des deux Rois. » Ses perplexités se traduisaient encore de façon singulière : « M. le duc de Savoye, qui tout au plus communie une fois l’an, mandait Phelypeaux, communia le jour de la Notre-Dame de septembre et a ordonné ensuite des prières par toutes les églises de Turin, afin d’obtenir le secours du ciel dont il a, dit-il, un extrême besoin dans les embarras où il se trouve, » « C’est précisément, ajoute ce perspicace observateur des intrigues de Victor-Amédée, comme en usa ce prince lorsqu’en 1696 il changea de parti[1]. » Peut-être, dans cette crise suprême, n’eût-il donc pas été impossible de le regagner, mais Louis XIV avait pris son parti dans l’autre sens. Soit qu’il eût été blessé du ton railleur affecté par Victor-Amédée dans sa réponse à Phelypeaux, soit que cette dissimulation persévérante, encore aggravée par les dénégations formelles de Vernon, eût achevé de le dégoûter d’un allié en qui il devenait impossible de garder confiance, il avait résolu de le mettre hors d’état de nuire. Pour y parvenir, il s’adressa, par-dessus la tête de Phelyppaux, qu’il ne crut point devoir mettre dans la confidence, à quelqu’un dont la détermination et l’absence de scrupules lui semblaient propres à la réalisation d’un vigoureux coup de main.

Depuis le mois de février de l’année précédente, l’armée d’Italie avait changé de chef. Villeroy s’était laissé surprendre dans Crémone, et, si l’énergie déployée par son lieutenant, le marquis de Revel, avait arraché la ville aux Impériaux, lui-même était demeuré entre leurs mains et avait été emmené prisonnier par eux, d’où le couplet bien connu :


Français, rendez grâce à Bellone.
Votre bonheur est sans égal.
Vous avez recouvré Crémone
Et perdu votre général.


Pour le remplacer, Louis XIV avait envoyé Vendôme en Italie.

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi. Dépêches des 6, 13 et 20 sept. 1703.