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présence d’Auersperg à Turin[1]. Mais, comme il l’écrivait à Phelypeaux, il balançait encore sur la conduite à tenir, et ce ne fut qu’à la fin d’août qu’il se résolut, bien tardivement, à l’un des deux partis entre lesquels Phelypeaux lui conseillait depuis longtemps de choisir : celui de chercher à se rattacher Victor-Amédée.

Le 21 août, il donnait audience à Vernon, et, celui-ci ayant protesté de nouveau que son maître n’avait fait aucun traité avec l’Empereur et voulant, dit Dangeau, « qu’on lui fasse couper le cou si les bruits qu’on répand sont vrais[2], » Louis XIV répondit qu’après avoir reçu de pareilles assurances, il était persuadé que le duc de Savoie était incapable de se déshonorer en contrevenant à ce qu’il faisait dire si positivement par son ambassadeur. Il ajoutait que, de son côté, il avait toujours souhaité véritablement les avantages du duc de Savoie et qu’il continuerait d’y apporter une attention dont Son Altesse aurait à se louer. Par la même dépêche qu’il adressait à Phelypeaux pour lui faire connaître cet entretien, il l’invitait à provoquer une explication du duc de Savoie, « m’engageant, ajoutait-il, à négocier avec le duc de Mantoue pour obtenir de lui la cession du Montferrat[3].

Il était bien tard pour parler seulement du petit Montferrat, alors, que, d’autre part, des propositions aussi avantageuses étaient faites à Victor-Amédée. En exécution des ordres reçus, Phelypeaux demanda cependant une audience au duc de Savoie, mais il le trouvait d’humeur mal commode. « Lorsque le Roy, lui dit Phelypeaux, verra que Votre Altesse Royale prend confiance entière dans l’affection que Sa Majesté a pour vous, il n’y a rien qu’il ne fasse pour vos avantages. Si Votre Altesse Royale est inquiète sur ce sujet et que vous vouliés stipuler quelques-nouvelles conditions, donnés vos ordres au comte de Vernon, ou faites-moi l’honneur de me parler et traiter avec moy. » Mais Victor-Amédée, dans sa réplique, se répandit d’abord en longues récriminations sur les fautes commises au début de la campagne, sur la méfiance qui lui avait toujours été témoignée, puis il continua : « Mais enfin, mon temps bourrasqueux est passé…

  1. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, Vernon à Victor-Amédée, 3 août-7 août. À ces assurances, Torcy répondait en souriant que les ambassadeurs sont souvent les premiers ingannati. Il semble en effet, à lire ces dépêches où Vernon rend compte de ses conversations avec Torcy, qu’il fût de bonne foi et, véritablement, trompé par son maître.
  2. Dangeau, t. IX, p. 273.
  3. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol, 112. — Le Roi à Phelypeaux, 22 août 1703.