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point éloignées, et je sçaurois récompenser les services qu’elle me rendroit. » Mais, après enquête, Phelypeaux réhabilita la dame, assurant qu’elle vivait noblement, qu’elle n’était point intéressée, et qu’il ne fallait rien engager mal à propos avec elle[1]. Réduit aux informations qu’il pouvait se procurer dans une cour manifestement hostile, il se bornait à rapporter les entrevues de plus en plus fréquentes de Victor-Amédée avec le marquis de Prié et un propos de la marquise, qui aurait dit : « Son Altesse Royale envoie souvent chercher mon mari ; je crains qu’il ne nous embarque et luy aussy dans quelque méchante affaire[2]. » Mais il ne paraît pas avoir pénétré le secret de la négociation poursuivie par l’intermédiaire du comte Salvaï, qui fit plusieurs fois pendant l’automne et l’hiver le voyage entre Turin et Vienne, ni de la véritable surenchère à laquelle la cour de Vienne se livrait avec une habileté et une diligence dont elle n’était pas coutumière. Au mois de juillet 1702, elle offrait, comme nous avons vu, le Montferrat et la province d’Alexandrie ; au mois de septembre, elle y ajoutait la ville de Valence. Au mois de février 1703, de nouvelles instructions signées Harrach, Mansfeld et Kaunitz, dont copie se trouve aux Archives de Turin[3], autorisaient Salvaï à lui offrir l’île de Sardaigne, en faisant valoir non seulement la fertilité et les revenus de cette île, mais encore qu’elle portait le titre de royaume et « mettroit par conséquent Son Altesse Royale et son successeur au rang des têtes couronnées. »

Victor-Amédée n’avait pas de marine. Il se souciait peu d’une acquisition qu’il était hors d’état de défendre. Aussi refusa-t-il cette offre peu tentante, et, en place de la Sardaigne, il demanda de nouveaux agrandissemens du côté du Milanais, avec la garantie de l’Angleterre et de la Hollande, le commandement de l’armée avec autorité sur le commissaire impérial, et la reconnaissance de ses droits éventuels à la couronne d’Espagne. « Sa Majesté Impériale ne s’attendait pas à ce que Son Altesse Royale accrochât ses

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 110. — Le Roi à Phelypeaux, 10 oct. 1702. — Phelypeaux au Roi, 21 octobre-10 novembre 1702.
  2. Ibid., vol. 110. — Phelypeaux au Roi, 21 oct. 1702.
  3. Archives de Turin, Negoziazioni con Vienna, mazzo 6, 21 février 1703. Ces instructions débutent ainsi : « Sa Majesté Impériale ayant ouy le rapport de ce que le comte Salvaï a opéré à Turin et en ayant apris la continuation du sincère désir de Son Altesse Royale de se réunir à elle,… après avoir assuré Son Altesse Royale de la véritable inclination que Sa Majesté Impériale conserve de la recevoir dans son ancienne amitié et alliance et de luy procurer en même temps tous les avantages raisonnables et possibles, etc. »