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la France par le traité de Turin. Ce même traité lui avait promis les bons offices du Roi pour obtenir auprès du pape l’entrée de la Sala regia du Vatican où n’avaient accès que les représentans des têtes couronnées. Mais ce rang lui serait-il reconnu par la cour d’Espagne, réputée dans toute l’Europe pour sa morgue et son étiquette hautaine ? Dès qu’il fut averti des desseins de Philippe V, cette question devint pour Victor-Amédée un sujet de préoccupation et d’agitation. Il faisait rechercher dans le Cérémonial de la cour de Turin les précédens qui venaient à l’appui de ses prétentions. Il y trouvait qu’à l’époque où Charles-Emmanuel Ier s’était rendu en Espagne pour épouser la fille de Philippe II, non seulement celui-ci l’avait traité d’Altesse et lui avait donné la main, mais qu’en entrant dans Madrid, il lui avait donné la droite, et, comme le cheval du duc de Savoie dansait et s’agitait, à la remarque de Philippe II, Charles-Emmanuel avait répondu que son cheval s’agitait ainsi parce qu’il ne se sentait pas à sa place. Victor-Amédée alléguait également qu’en novembre 1658, la duchesse Christine étant venue à Lyon avec sa fille saluer la reine Anne d’Autriche et Louis XIV, le jeune Roi était venu au-devant des princesses, au lieu de les attendre dans son appartement. Il chargeait Vernon d’entretenir Torcy de cette question, « mais comme de lui-même, son maître étant supérieur à toutes ces formalités, et n’ayant témoigné aucune prétention, mais espérant cependant que de plus grands honneurs lui seraient accordés à raison tant de l’accroissement de sa maison que de sa parenté avec le roi de France. » Il voulait mettre ainsi Versailles dans ses intérêts. Mais Versailles se dérobait. Torcy répondait que le cérémonial suivi à la cour de France était tout différent de celui d’Espagne, et qu’on ne prétendait pas à régler le cérémonial des Espagnols[1]. Victor-Amédée échouait donc dans sa demande d’intervention, et, quand le roi d’Espagne, venant de Livourne, débarqua au port de Final, la question qui le préoccupait si fort n’était pas encore réglée.

De la première entrevue, Victor-Amédée n’eut point à se plaindre. Cette entrevue eut lieu dans la petite ville d’Acqui, à quelques milles d’Alexandrie. Victor-Amédée s’était rendu au-devant de son gendre. Quand il aperçut la chaise qui l’amenait, il mit pied à terre. Philippe V descendit de son côté, et embrassa

  1. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 131. — Vernon à Victor-Amédée, 8 mai 1702, mazzo 132. — Victor-Amédée à Vernon, 3 mai 1702.