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jeune et amoureux époux. Le lendemain, grand conseil entre la princesse des Ursins, Louville, Marsin, l’ambassadeur de France, le duc de Medina-Sidonia et le comte de San Estevan, qui accompagnaient le roi d’Espagne, sur la meilleure manière de vaincre la sauvagerie de cette enfant de treize ans. Leur avis unanime fut que le Roi se piquât de dignité, et qu’au lieu de solliciter à nouveau l’entrée de la chambre de la Reine, il demeurât la nuit suivante dans la sienne. L’avis eut un plein succès : « Le soir, dit Saint-Simon, la Reine fut affligée ; sa gloire et sa petite vanité furent blessées ; peut-être aussi avait-elle trouvé le Roi à son gré… Excuses, pardon, crainte, promesses, tout fut mis en règle et en respect… Le quatrième jour, comme tout se retrouva dans l’ordre où il devait être, ils retournèrent tous à Barcelone où il ne fut question que d’entrées, de fêtes, et de plaisirs[1]. »

Peu s’en fallut cependant que cette enfance, pour parler comme la duchesse de Bourgogne dans une lettre à sa grand’mère, n’eût des suites diplomatiques. Louis XIV soupçonna l’ambassadeur de Savoie auprès de Philippe V d’avoir subrepticement donné de mauvais conseils à la princesse, et il chargea Phelypeaux de faire des représentations à Victor-Amédée. Celui-ci prit la défense de son ambassadeur, ainsi que du marquis de Sirié, également accusé, et il ajouta : « Pour Madame la Duchesse et moy, nous n’avons jamais donné d’autres instructions à ma fille que d’être extrêmement soumise aux volontés du Roy son mari et toujours pénétrée de reconnaissance pour Sa Majesté Très Chrétienne qui a bien voulu luy faire une aussi haute fortune[2]. »

Pour peu que Philippe V ait partagé les soupçons, fondés ou non, de Louis XIV, il dut en conserver un certain ressentiment contre son beau-père, et ce ressentiment expliquerait pour partie les procédés dont il usa envers lui, l’année suivante, et dont les conséquences devaient être si fâcheuses. Au mois d’avril 1702, Philippe V sentit la nécessité d’aller se faire voir à ses nouveaux sujets d’Italie. Il devait commencer par Naples, puis de là se rendre en Lombardie. Une entrevue entre le gendre et le beau-père était inévitable ; aussi Victor-Amédée se préoccupait-il depuis longtemps du cérémonial de cette entrevue. On se souvient combien lui tenait à cœur le rang d’Altesse Royale auquel il prétendait. Ce rang lui avait été reconnu dans ses relations avec

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 109.
  2. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 3 décembre 1701.