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ordinaire, Saint-Simon outre ici un peu les choses ; M. de Savoie fut mieux élevé. « Il n’a rien dit, rapporte Phelypeaux, témoin oculaire, mais il a changé de couleur, » et tous les généraux présens remarquèrent la confusion de Villeroy[1].

Quoi qu’il en soit de ce futile incident, il était évident que les dispositions du duc de Savoie devenaient de plus en plus mauvaises, car avant même que la campagne ne fût terminée, il allégua la mauvaise saison pour retirer ses troupes de l’armée et pour leur faire prendre leurs quartiers d’hiver, soi-disant pour les mettre en état de mieux servir l’année suivante, en réalité parce qu’il voulait les épargner. Lui-même rentrait à Turin et n’essayait pas de dissimuler sa mauvaise humeur. Il considérait sa réputation militaire comme flétrie par le mauvais succès de la campagne. « Madame Royale, mandait Phelypeaux, m’a dit hier au soir que M. le duc de Savoie estoit dans son particulier chagrin, pensif, embarrassé, et paroissoit occupé de choses point agréables, enfin dans une assiette ny tranquille, ny stable, » et il ajoutait fort judicieusement : « Il ne changera pas de party tant que le vostre ne succombera pas en Italie, mais, dans l’adversité, on ne peut compter sur sa foy, comme sur celle d’un sujet fidèle[2]. »

Les insinuations réitérées de son judicieux ambassadeur firent sans doute impression sur Louis XIV, qui comprit la nécessité de s’attacher un allié aussi peu sûr par des liens plus solides que ceux d’un traité onéreux. « Il est de la prudence, écrivait-il à Phelypeaux, de prévenir les liaisons qu’il pourroit avoir avec l’Empire, et de luy faire trouver, dans mon alliance et dans celle du Roy Catholique, des avantages bien plus solides que ne seroient ceux qu’il pourroit espérer de la maison d’Autriche[3]. » Aussi Phelypeaux était-il autorisé à provoquer les ouvertures de Victor-Amédée sur les modifications qui pourraient être apportées au traité du 6 avril. Victor-Amédée demandait le maintien intégral du subside qui lui avait été promis, mais la réduction des troupes qu’en échange de ce subside, il s’était engagé à fournir ; et, comme Louis XIV, peu soucieux de voir diminuer l’effectif des forces qu’il pourrait opposer aux Impériaux durant la campagne prochaine, proposait de prendre

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 20 oct. 1701.
  2. Ibid., Phelypeaux au Roi, 10 décembre 1701.
  3. Ibid., vol. 110. — Le Roi à Phelypeaux, 5 février 1702.