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Il n’y avait encore à l’armée des Deux Couronnes un personnage qui était singulièrement suspect, c’était le général des troupes espagnoles, le prince de Vaudémont lui-même. Ce fils de Charles IV n’avait certainement pas appris la fidélité à l’école de son père, et de plus il se trouvait dans une situation singulière. Son propre fils, le prince Charles-Thomas de Vaudémont, et son neveu, le prince de Commercy, servaient dans l’armée du prince Eugène et lui étaient directement opposés. Son caractère n’avait rien de ce qu’il fallait pour rassurer contre les soupçons que pouvait faire naître une situation aussi ambiguë. Aussi les opinions étaient-elles fort divisées dans le camp français sur le rôle qu’il jouait. Tandis que Tessé et Villeroy croyaient en lui et prenaient avec chaleur sa défense, Phelypeaux exprimait à plusieurs reprises des doutes sur sa fidélité[1]. Trois seigneurs espagnols, dont Vaudémont demandait le renvoi à Madrid, l’accusaient ouvertement. Ces soupçons paraissent même avoir fait impression sur l’esprit de Louis XIV, car il écrivait à Villeroy : « Les Espagnols disent hautement que le prince de Vaudémont est tout à fait dans les intérêts de l’Empereur. On m’assure qu’il entretient des liaisons étroites avec son fils. C’est à vous de l’observer d’assés près pour voir s’il y a quelque fondement aux bruits qui s’en sont répandus[2]. » En même temps, comme s’il avait eu peu de confiance dans la sagacité de Villeroy, il chargeait Bouchu, intendant à l’armée d’Italie, d’ouvrir une enquête discrète sur la conduite de Vaudémont. Bouchu lui adressait, par l’intermédiaire de Phelypeaux, un long mémoire où il ne concluait guère[3], et Louis XIV ne devait pas se trouver beaucoup plus éclairé qu’au jour où Phelypeaux lui écrivait : « Parmy tant d’obscurité, les lumières seules de Votre Majesté peuvent démesler la vérité[4]. »

Pour nous qui avons étudié la question avec des documens que n’avaient ni Tessé et Villeroy, les accusateurs de Victor-Amédée, ni Phelypeaux et les autres accusateurs de Vaudémont, nous croyons qu’il n’est juste d’imputer une trahison militaire ni au Savoyard ni au Lorrain. La défaillance momentanée de Catinat, l’incapacité habituelle de Villeroy, l’insuffisance de Vaudémont,

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 16 et 25 nov. 1701.
  2. Dépôt de la Guerre, Italie, 1528. — Le Roi à Villeroy, 14 nov. 1701.
  3. Voyez ce Mémoire dans la publication de l’abbé Esnault, t. Ier. p. 64.
  4. Ibid., p. 53.