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ce procès rétrospectif de trahison, il faut aussi interroger les pièces. Sans doute la preuve matérielle d’une trahison est assez difficile à fournir. Cependant la démonstration historique n’en est pas impossible lorsque s’ouvrent les archives où cette preuve pourrait se trouver. Là, en effet, se cache souvent la vérité. C’est aujourd’hui le cas pour les Archives de Turin et de Vienne. Mais, ni à Turin, ni à Vienne, il n’y a trace d’intelligences ourdies, au cours de cette année 1701, entre le prince Eugène et Victor-Amédée. A Turin, où tout était conservé avec le plus grand soin, nous nous en sommes assuré par nos propres recherches. Les Archives contiennent bien onze lettres de Victor-Amédée au prince Eugène. Mais la première en date de ces lettres est du 11 novembre 1703, la dernière du 11 avril 1704. Dans aucune, il n’est fait allusion à quelque intelligence antérieure. De ces intelligences, au cours de la campagne de 1701, les Archives de Vienne ne renferment non plus aucun indice. C’est du moins ce qu’affirment positivement les auteurs de la très volumineuse publication entreprise par l’état-major autrichien sous ce titre : Feldzüge des Prinzen Eugen von Savoyen et qui a été traduite en italien[1]. A l’appui de leur dire, ils ont publié en appendice la correspondance militaire du prince Eugène et ses rapports à l’Empereur après les affaires de Carpi et de Chiari. Ni cette correspondance, ni ces rapports ne renferment aucune allusion à quelques renseignemens qui seraient arrivés au prince Eugène du camp ennemi. Il est fait souvent mention du nom du duc de Savoie, mais toujours comme d’un ennemi dont il faut déjouer les desseins, et le prince Eugène, dont les rapports sont au reste d’une concision remarquable, ne se fait pas faute d’expliquer ses succès par les manœuvres maladroites de l’armée adverse.

Que si l’on s’obstinait cependant à soutenir que, dans des rapports officiels, il ne saurait être question de trahison, et que l’absence de preuve écrite n’est pas démonstrative, il ne s’ensuivrait pas nécessairement que le traître fût le duc de Savoie.

  1. Cette importante publication, qui contient un grand nombre de pièces inédites, comprend vingt et un volumes. Elle est précédée d’une introduction dont les auteurs se sont livrés à des considérations historiques peu exactes sur l’état politique de la France au XVIIe siècle. Mais il n’y a aucune raison de suspecter la bonne foi et l’exactitude de leurs affirmations. Le roi Humbert a ordonné la traduction de cette publication en italien sous le titre de : Campagne del principe Eugenio di Savoia.