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moins bon compte de la valeur déployée par Victor-Amédée pendant l’action. « Il a marqué pour votre service, disait sa dépêche au Roi, tout le zèle qu’auroit pu faire un de vos généraux, se portant sans cesse avec valeur, intrépidité et sang-froid dans les endroits les plus chauds, parlant aux troupes qui plioient et les ramenant à la charge comme auroit pu faire un simple officier ; son cheval a esté blessé, son justaucorps a esté percé d’un coup de mousquet. Enfin, Sire, ce prince a esté plusieurs fois prodiguer sa vie aux retranchemens des ennemis, imposant fièrement silence à ce que ses principaux courtisans voulurent au commencement lui représenter là-dessus[1]. »

La valeur personnelle que Victor-Amédée déploya au combat de Chiari a été souvent citée comme un trait de nature singulier. La plupart des historiens croient en effet à une trahison de sa part, non pas seulement préméditée, mais déjà accomplie à l’époque qui nous occupe. Quelques-uns vont même jusqu’à dire que non seulement il était en relations mystérieuses avec l’Empereur, mais qu’il faisait parvenir en secret des renseignemens au prince Eugène, favorisant ainsi l’armée qu’il combattait aux dépens de celle où il commandait. Au point de vue du personnage et de sa nature intime, il serait assurément curieux que la valeur personnelle et l’amour-propre militaire l’aient emporté au dernier moment sur les ruses de la diplomatie, et qu’après avoir préparé la défaite de ses propres troupes, Victor-Amédée ait tout fait au dernier moment pour leur assurer la victoire. Mais il faut, croyons-nous, renoncer à se complaire en ce cas de psychologie compliquée, et c’est confondre les temps que d’accuser Victor-Amédée de trahison formelle dès le début de la campagne de 1701. Telle est, du moins, la conclusion à laquelle nous a conduit une étude attentive des témoignages contemporains et des pièces, ainsi que du caractère de Victor-Amédée lui-même.

Sans doute, Phelypeaux et Tessé voyaient juste lorsqu’ils signalaient l’ambiguïté de la conduite de Victor-Amédée et le peu de sûreté de son alliance. Phelypeaux avait raison encore lorsqu’il disait, dès le début, « qu’il falloit acquérir ce prince avec sécurité ou l’opprimer d’abord sans ressources[2]. » Mais c’était précisément ce que Louis XIV n’avait pas su faire en lui imposant un traité d’alliance qui ne lui conférait aucun avantage, et en le

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 108. — Phelypeaux au Roi, 13 sept. 1701.
  2. Ibid., Corresp. Turin, vol. 107. — Phelypeaux au Roi, 13 janvier 1701.