Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour laisser encore parler Sainte-Beuve, « ce n’est pas d’avoir remplacé Catinat, c’est de l’avoir remplacé par Villeroy qu’on peut le blâmer. »

Villeroy est une des faiblesses de Louis XIV, le seul homme qu’il ait appelé son favori et qu’il ait toujours soutenu. Cette faiblesse devait, à plusieurs reprises, lui coûter cher. « Tout le monde, monsieur le maréchal, vous fait des complimens d’aller en Italie, lui disait tout haut le maréchal de Duras. Moi, j’attends à votre retour à vous faire les miens[1]. » Les événemens ne devaient donner que trop raison à cette parole caustique. Villeroy arrivait plein d’arrogance et d’espoir. Ses premières dépêches respirent une confiance absolue : « Je vois, disait-il, des dispositions trop favorables à ce que nous allons entreprendre pour ne pas en donner de nouvelles à Votre Majesté par avance[2]. » Mal lui en prenait d’afficher cette confiance. Malgré l’avis de Catinat, qui avait continué à servir sous ses ordres avec une admirable abnégation (lors du siège de Sébastopol, notre armée a vu un pareil exemple), il s’obstina dans le projet d’attaquer le prince Eugène, fortement retranché dans Chiari. L’échec fut sanglant (9 septembre 1701). Villeroy essayait de s’excuser sur l’ordre qu’il avait reçu à Versailles de chercher les ennemis, mais le Roi lui répondait avec raison : « Je vous ai ordonné de chercher les ennemis, de vous tenir sur eux le plus près que vous pourrés, de leur donner bataille, mais cet ordre doit être aménagé avec prudence, et j’ai une assés grande confiance en vous pour m’en rapporter à vous du parti que vous croirés le meilleur[3]. »

Bien qu’il eût encore moins de confiance que Catinat dans la fidélité du duc de Savoie, Villeroy ne pouvait en cette occasion s’en prendre directement à lui d’un résultat aussi désastreux. Le généralissime, beaucoup meilleur capitaine que Villeroy, ne s’était guère montré partisan de l’attaque, mais, lorsqu’il fut question de retraite, et lorsque Vaudémont et Catinat eurent opiné en ce sens, il répondit qu’il était prêt à sacrifier sa personne et ses troupes pour le service du Roi, de la manière qu’on jugerait le plus convenable. « Ce sont paroles, ajoutait Villeroy, que je ne puis trop répéter[4]. » Phelypeaux, de son côté, ne rendait pas

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 57.
  2. Dépôt de la Guerre, Italie, 1515. — Villeroy au Roi, 26 août 1701.
  3. Ibid., Italie. Minutes 1528. — Le Roi à Villeroi, 11 sept. 1701.
  4. Ibid., Italie, 1515. — Villeroy au Roi. Relation de l’affaire de Chiari.