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un labeur incessant lui avait appris à connaître à merveille l’échiquier européen. Il n’était pas né militaire, et ce n’était pas sa présence à quelques sièges d’apparat qui avait pu lui apprendre à connaître le vaste théâtre des guerres continentales. Souvent aussi, il se trompa sur la valeur des hommes. Tandis qu’il choisissait à merveille ses ambassadeurs, il choisissait mal ses généraux. Ajoutons qu’obligé de soutenir la guerre à la fois en Espagne, en Italie, en Flandre, en Allemagne, il n’avait guère l’embarras du choix. Le génie militaire semblait avoir abandonné la France pour passer du côté de ses ennemis. Ni Vendôme, ni Villars, malgré des parties de génie, n’étaient les égaux de Marlborough et surtout du prince Eugène. De là des fautes et des revers imputables moins au système de gouvernement qu’à la longueur du règne, « Monsieur le maréchal, on n’est pas heureux à notre âge, » disait Louis XIV à Villeroy, au lendemain de Ramillies. Il avait raison. La fortune n’est pas tendre à la vieillesse, pas plus à celle des peuples qu’à celle des hommes. Nous entrons dans la vieillesse du règne.


I

L’armée qui allait avoir à repousser dans le nord de l’Italie l’effort des Impériaux est désignée par les historiens du temps sous le nom d’armée des Deux Couronnes. S’ils avaient tenu compte des prétentions du duc de Savoie à l’Altesse Royale, c’est l’armée des Trois Couronnes qu’ils auraient dû l’appeler. Elle était composée en effet de troupes espagnoles, savoyardes et françaises. Les troupes espagnoles étaient sous les ordres du prince de Vaudémont, qui, gouverneur du Milanais au moment de la mort de Charles II, avait fait reconnaître le nouveau roi d’Espagne par une population assez mal disposée. Les troupes françaises, qui étaient arrivées successivement par les passages des Alpes, avaient été placées d’abord sous les ordres de Tessé, mais Louis XIV venait d’envoyer tout récemment Catinat pour en prendre le commandement. Enfin, les troupes savoyardes étaient naturellement sous les ordres de Victor-Amédée, qui, de plus, exerçait, en vertu du traité du 6 avril 1701, les fonctions de généralissime. Pour maintenir l’unité de vue et d’action dans une armée d’origine et de composition si diverses, il aurait fallu une autorité indiscutée et une main singulièrement vigoureuse. Or,