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méro. La place que tient la Revue dans les conversations…

— Maman me la permet quelquefois, moins le roman, dit Marcelle avec malice. Je n’ai donc pas été autorisée à lire le Réveil, c’est pourquoi je suis curieuse d’entendre ce que peut en dire un public intelligent. Écoutons un peu, voulez-vous ?

— Oh ! rien de plus facile… en servant le thé.

— Vous parliez d’anonyme. Tchelovek est un nom russe, n’est-ce pas ? demanda Raymond en prenant la tasse qu’elle lui offrait.

— Pas un nom, mais un mot russe, rectifia la jolie princesse Palkine. Cela veut dire individu, sans acception d’âge ni de sexe.

— Pourtant vous ne croyez pas à une traduction…

— Oh ! certes non. Tout y est français, purement français d’un bout à l’autre.

La Baudraye persistait dans son opinion.

— Lisez plutôt la dernière conversation au bal. Vous n’y trouverez pas un mot qu’une vraie jeune fille ne puisse dire, et c’est justement cette réserve trop volontairement soutenue dans le dialogue, accompagnée en sourdine d’ironie amère parfois, de psychologie souvent profonde, qui me fait croire à une griffe d’homme dissimulée dans ce gant blanc.

— À mon gré, reprit Mme des Garays d’un ton sec, la demoiselle est d’un détestable exemple.

— En effet, acquiesça Mme de Vende, la plupart des héroïnes de roman, si faibles ou si folles qu’elles soient, ont des excuses. Mal mariées… mon Dieu, elles se consolent ! Mais celle-ci part en guerre contre tout, avant d’avoir essayé de vivre. Elle attaque avec une violence d’anarchiste les choses les plus naturelles, c’est-à-dire les mieux établies. Il y a sur le mariage des mots d’une crudité… Tenez, par exemple,…

Elle se pencha vers sa voisine et lui fit à voix basse une citation qu’accueillit un : Oh ! d’épouvante.

— Mais je trouve cela parfaitement juste, fit observer la princesse Palkine, qui avait entendu.

— Évidemment, décréta La Baudraye, ce n’est pas un livre pour jeunes filles, bien qu’il ne soit guère question que d’elles.

— Aucun livre amusant n’est pour jeunes filles, grogna Claire entre ses dents. Je serais pourtant curieuse de connaître les propos et les idées qu’on nous prête là dedans. Gageons que