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IV

— Et vraiment on ne sait qui en est l’auteur ? On ne le sait pas même à la Revue ?

Cette question est posée au conférencier en vogue, La Baudraye, par deux ou trois dames à la fois.

C’est un jeudi, le jeudi de Mme de Vende, et La Baudraye en fait les délices, appuyé au marbre de la cheminée, dans une attitude élégante qui appartient à lui seul, son chapeau et ses gants d’une main, gesticulant de l’autre avec discrétion.

— Mesdames, si le secret est connu, il est bien gardé, mais je crois sincèrement qu’on l’ignore. Tout ce que j’ai pu apprendre, c’est que le roman est d’une dame, d’une jeune fille qui ne s’est pas montrée, qui n’a pas livré son nom.

— D’une jeune fille ! s’écrie la galerie incrédule.

— Vous ne voulez pas ? Eh bien ! mesdames, je serais sans trop de peine de votre avis, ce ne peut être là, comme on cherche à nous le faire accroire, une œuvre de début. J’y trouve, au contraire, les marques de l’expérience qui se déguise. Cette ingénuité quasi anonyme pourrait bien sortir de quelque plume fort exercée qui veut se renouveler sur le tard, changer de genre, prouver sa virtuosité. Figurez-vous l’Abbé Constantin sans signature…

— Mais, monsieur La Baudraye, c’est tout le contraire, interrompit Mme de Vende. L’Abbé Constantin veut être un livre vertueux et Brusque Réveil n’y a aucune prétention… Il est plein d’audaces incroyables, quoique la jeunesse et l’innocence percent malgré tout.

— L’ingénuité peut être affectée comme autre chose, déclara Mme des Garays. Je suis de ceux qui voient dans Brusque Réveil beaucoup de savoir-faire et un peu de perversité. Qu’est-ce que ces demoiselles ont à rire ? reprit-elle en interpellant sa fille et Claire de Vende qui, d’abord assises à l’écart, s’étaient rapprochées peu à peu.

— Nous causions entre nous, maman.

— Au fait, pourquoi donc avez-vous ri ? Est-ce que vous l’avez lu, ce Réveil ? demanda tout bas Claire. On ne me permet pas la Revue à moi. Je la connais pourtant, parce que les conversations du jeudi roulent toujours sur tel ou tel article du dernier nu-