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tout, renoncer à Marcelle, car elle pouvait réussir, avec un peu d’adresse et d’obéissance, à vaincre des préventions qu’il ne voulait pas croire tenaces. Il promit aussi, quoique plus difficilement, de ne pas lui parler encore de fiançailles. Ayant obtenu cette double concession, Mme Hédouin respira. Elle savait ce cœur loyal incapable de manquer à la parole donnée ; elle savait également sa nièce trop fière pour provoquer un aveu.

Des mois s’écoulèrent, interminables pour Marcelle. À chaque rencontre, elle attendait de Robert un mot décisif, toujours prêt à s’échapper et toujours retenu. Lié par la parole donnée, il hésitait, en outre, devant le rempart d’orgueil à l’abri duquel la jeune fille se retranchait ; tous les deux étaient à plaindre. Par chagrin, elle le blessait, elle l’irritait ; et il n’avait pas assez de confiance en lui-même pour comprendre qu’elle n’eût demandé qu’à désarmer. Ce grand garçon à l’air hautain était, au fond, un modeste, un timide. Pendant ces longs mois, Marcelle ne vécut que par l’émotion, l’attente angoissée, l’espérance toujours renaissante et toujours déçue. Quant à Robert, il essaya du seul moyen qui, à son âge, puisse tenir en échec un grand amour. Il retourna passagèrement à des plaisirs faciles, et Marcelle le sut ; sa tante eut soin que le nom de Mlle Lizzy, une écuyère du Cirque, parvînt à ses oreilles. Ah ! quel souci donnait à la meilleure des mères cet engouement de son fils pour une créature !

— Déjà infidèle ! pensait Marcelle. Voilà donc pourquoi il a tout à coup reculé !

Cette infidélité qui n’en était pas une, elle la jugea comme une jeune fille peut juger de telles choses, avec la plus implacable rigueur. Ardente et spontanée, elle passa vite de la colère aux représailles. Robert la vit devenir follement coquette ; peu exercée à ce jeu, elle l’exagérait. Un certain Raymond de Vende, sportsman étique des moins intéressans, servit d’instrument à sa vengeance. Dans un bal, elle encouragea la cour plate et banale qu’il lui faisait, elle l’encouragea ouvertement avec une hardiesse qui le laissa tout étourdi d’un succès si peu préparé.

— Elle est fantasque, avait décidé Mme Hédouin.

Marcelle ne soupçonna jamais les orages qui s’étaient élevés entre la mère et le fils, celui-ci déclarant que, si on ne le laissait pas disparaître en Tunisie, comme il en avait l’occasion à l’heure où s’organisait notre protectorat, il irait souffleter le fat que distinguait Marcelle.