Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les avaient rapprochés ; de fait, ils avaient été presque élevés ensemble, préservatif certain contre l’amour, à en croire Mme Hédouin, et leur attitude, fraternelle vis-à-vis l’un de l’autre semblait jusque-là lui donner raison, mais on eût dit que le coup de baguette d’une fée était brusquement intervenu.

Toute sa vie, Robert garda le souvenir de ce prodige. L’exquise personne qui l’accueillit après une séparation de quelques mois était-elle bien la petite pédante en robe courte qu’il s’amusait à taquiner ? Et de quelle voix, qui lui parut changée, elle prononça ces premiers mots de Belle au Bois dormant qui s’éveille : — Oh ! comme tu t’es fait attendre ! — en ajoutant avec une rougeur qu’il ne lui avait jamais vue : — Comme tu nous manquais !

Il resta, toute la soirée qui suivit cette foudroyante métamorphose, stupide d’étonnement et d’admiration ; après quoi, les deux jeunes gens, réunis à la campagne pendant un long congé, reprirent ce qui semblait être la camaraderie du passé, ce qui pourtant n’avait plus aucun rapport avec elle. Ils se disaient les mêmes choses, mais elles n’avaient plus le même sens ; c’étaient les mêmes promenades, mais la nature avait pris pour eux un aspect nouveau, elle était complice de toutes les émotions inexprimées qui vibraient dans leur accent et se peignaient dans leurs regards ; la familiarité d’autrefois les gênait, ils hésitaient à se tutoyer : bref, ils s’aimaient sans arrière-pensée, sans autre but que la joie d’être ensemble, sans bien savoir chez lequel des deux le changement avait commencé. Marcelle comprit plus tard, cependant, qu’il s’était produit d’abord chez elle, quand l’ami d’enfance, parti pour sa première garnison, s’était éloigné, et qu’aux heures d’ennui, regardant sa place vide, elle avait beaucoup pensé à lui en le parant du prestige de l’absence. Quoi qu’il en fût, Mme Hédouin dut renoncer à répéter sur le ton du découragement : — Ma nièce ne sait pas s’y prendre, — jugeant au contraire qu’elle ne s’y prenait que trop bien pour captiver son fils.

Cette découverte imprévue ne lui fut rien moins qu’agréable. Elle avait trouvé bon que le collégien, le Saint-Cyrien, aimât en camarade cette fille intelligente et résolue dont la présence donnait un peu de vie et de gaîté à leur intérieur. Marcelle avait peut-être contribué, sans le savoir, à retenir son cousin dans le cercle de la famille ; on lui en savait gré, mais il ne fallait pas que le goût qu’elle inspirait allât trop loin. Les mères ont, en de telles