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grand soulagement de Mme Helmann. La mariée s’est éclipsée. Il faut bien changer de toilette, s’asseoir pour la première fois de la journée et se reposer des complimens.

II

Brusque et complet changement de décor. Dans une rue retirée du faubourg Saint-Germain, le modeste appartement de Mme des Garays, avec ses débris de luxe, ses souvenirs du second Empire éparpillés un peu partout, ses meubles trop grands pour les petites pièces où ils ont l’air de ne pouvoir prendre leur parti d’être relégués. Elle demeure là depuis la mort de son mari tué à Reichshoffen. Les catastrophes se sont succédé pour cette famille avec une rapidité vertigineuse, transformant du tout au tout une situation brillante jusque-là. Non que le colonel des Garays eût possédé autre chose que son grade et sa belle réputation militaire, mais il avait épousé la fille d’un très haut fonctionnaire. On disait bien autrefois que le traitement de celui-ci couvrait à peine de folles prodigalités et que son héritage eût été à peu près nul, si l’Empereur, qui savait reconnaître les services rendus, n’y eût remédié. Quoi qu’il en fût. Mme des Garays avait eu en sa jeunesse l’illusion d’une grande fortune. Mais, des pensions et autres avantages qu’elle devait à la munificence du souverain, la République ne lui laissa que ce qu’elle ne pouvait lui ôter, c’est-à-dire fort peu. Dès lors commença pour elle, sinon la gêne, tout au moins la médiocrité. Mme des Garays souffrit de plus d’une manière. Le monde nouveau, qui triomphait sur les ruines de celui qui l’avait vue heureuse, riche et considérée, lui était odieux ; une atmosphère de regret l’enveloppait habituellement ; elle vivait retranchée dans le passé, très digne, du reste, et sans jamais se plaindre. Seule, une sœur aînée, veuve comme elle, recevait ses confidences ; elle disait à cette sœur, la baronne Hédouin, qui la dominait de toute son énergie, renforcée d’une bonne dose d’habileté pratique, combien la préoccupaient, plus encore peut-être que l’avenir matériel de Marcelle, les dispositions très particulières de cette enfant, rêveuse et volontaire. En grandissant, Marcelle des Garays développait tous les signes d’une alarmante individualité. La question oiseuse : « Où a-t-elle pris cela ? » se posait à chaque instant entre ces deux femmes essentiellement du monde, qui croyaient avant tout à la puissance de