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— Le comble du mauvais goût, c’est que la carte de chaque donateur est bien en vue, dit la duchesse de Luxeuil, une tour énorme penchée au bras d’un jeune attaché d’ambassade qui regarde autour de lui avec inquiétude, tandis qu’elle s’écroule hors d’haleine dans une bergère. — Manière d’humilier les uns et de forcer ceux qui le peuvent à s’exécuter magnifiquement. Les journaux vont retentir de tout cela. Par qui sont-ils renseignés ? On me dit que certains petits messieurs dont on voit partout la figure se constituent fournisseurs de nouvelles à tant la ligne. Du propre !

La duchesse parle haut, d’une voix rude, sans souci qu’on l’entende. On a l’habitude de sa brusquerie, de ses boutades, de ses distractions qui ne sont peut-être qu’un moyen de dire leur fait aux gens, bien en face.

— Quel vice vulgaire que la vanité ! reprend-elle avec un soupir de regret à l’adresse du temps où l’on n’avait que de l’orgueil, ce qui n’empêchait pas du moins les bonnes façons.

— Vraiment ? réplique le jeune homme craintif, un pince-sans-rire au fond. Vous croyez vraiment, madame, qu’on ne se serait pas permis dans le bon temps d’exhiber les voitures ? Elles sont là. Il y en a quatre.

— Vous plaisantez…

— Je dis leurs photographies. Quatre photographies de voitures dûment armoriées.

— Aux armes des Helmann ?

— Pourquoi pas ? M. Helmann est comte romain depuis six semaines.

— Voilà qui achève…

D’autres critiques se joignent aussitôt à celles de la duchesse. Cette carrosserie d’une suprême élégance semble exciter particulièrement la verve des envieuses.

— Ne trouvez-vous pas fâcheux, laisse tomber en passant Mme de Vende, qui est venue en fiacre, ne trouvez-vous pas regrettable qu’on ait négligé de faire monter les chevaux ? Ils me manquent.

Après les voitures et les dentelles anciennes, ce qu’on regarde le plus, c’est, trônant sur un chevalet au milieu des offrandes, le portrait de la reine de la fête, par le peintre qui s’entend le mieux à déguiser la laideur en agrément, la maigreur en sveltesse, à jeter une écharpe de gaze sur des épaules inégales, à fuseler déli-