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était prince, pourvu cependant qu’on ne l’oubliât pas ; modeste, plutôt timide sous ses airs d’assurance, il avait cette nuance de hauteur que donne la timidité. Du reste, d’une politesse et d’une correction irréprochables, il répondait immédiatement à la moindre lettre et à toute visite. Il n’était pas souhaitable de l’avoir pour ennemi. Je ne crois pas qu’après une victoire, il eût été cruel, mais il conduisait la lutte sans scrupule, toute arme lui était bonne, pourvu qu’elle frappât fort. Alors, dans ces momens de colère, il se laissait aller à des boutades dont la brutalité était peu princière et qui jetaient l’épouvante dans les âmes non aguerries à ses façons.

Ses déchaînemens contre les défenseurs du pouvoir temporel l’ont fait taxer d’athéisme. Il avait horreur de l’athéisme sous toutes ses formes[1] ! Il a toujours professé le spiritualisme le plus convaincu et le respect du Concordat. « Je le respecte, disait-il, parce qu’il a assuré à la société le plus précieux des biens, la paix religieuse, et à chaque citoyen le plus sacré des droits, la liberté de conscience. — Je combats, ajoutait-il, les sectaires de la théocratie, et je défends contre eux les principes de la Révolution. Je combattrai avec une vigueur égale les sectaires du désordre, quand ils réclameront la suppression du budget des cultes ou la fermeture des églises. » Il n’est pas vrai que, dans un dîner de Vendredi saint, il ait blasphémé scandaleusement. N’observant pas les jours maigres, il consacrait, par égard pour sa femme, le

  1. Ce sont les propres expressions de la dernière des lettres qu’il m’a écrites, peu de temps avant sa mort. La voici en son entier, parce qu’elle est intéressante sous d’autres rapports :
    « Rome, hôtel de Russie, 8 janvier 1891. Mon cher Ollivier, Votre lettre renvoyée de Prangins ne m’est parvenue qu’il y a peu de jours. Merci de vos vœux ; je vous envoie tous les miens ainsi que pour Mme Ollivier et votre famille. Je regrette que vous n’ayez pu venir à Prangins, tâchez de m’y faire une visite quand vous retournerez à Paris. Je suis venu ici finir l’hiver. Je regrette la Rivière : sans doute ce que je vois ici est intéressant, mais c’est triste, écœurant. L’Italie va aussi mal que possible. Serons-nous, ses amis comme moi, forcés de demander pardon à Dieu et aux hommes ?
    « Je suis satisfait de ce que vous me dites de vos conversations avec mon fils Louis, j’ai eu de bonnes nouvelles de lui de Tiflis : au printemps, il rejoindra son régiment ; ayant appris le russe, il pourra y faire son service. Sa conduite me console de bien des amertumes. Adelon doit venir me rejoindre pour quelques semaines. C’est un bon ami fidèle.
    « L’attitude du cardinal Lavigerie est importante, si le clergé français le suit. Le Pape l’approuve, mais il est bien vieux pour une politique aussi hardie... Bref, vedremo ; je ne m’occupe plus ni du passé, ni du présent, mais, ayant horreur de l’athéisme sous toutes ses formes, je ne veux pas désespérer. — Je vous serre les mains. Votre affectionné et ancien ami, NAPOLEON. »