plus que du philosophe. Il excellait à disséquer un caractère, à fouiller une situation, et, comme on aime à faire ce qu’on réussit, il critiquait, critiquait sans relâche. Il n’est personne qui, à son tour, n’ait reçu une flèche de son carquois. Cette tournure d’esprit permet d’être brillant et donne parfois des apparences de prophète : quand on prédit toujours le malheur, on finit un jour par avoir raison. Mais l’exercice de l’esprit critique rend incapable de justesse et de mesure. « Tel a la vue claire qui ne l’a pas droite, » a dit Montaigne. On est presque constamment par l’excès au delà de la vérité. Le prince en était arrivé là : dans la plupart des manifestations qu’on lui a reprochées, il eût suffi de quelques exagérations retranchées pour qu’elles devinssent irréprochables.
Il pratiquait le culte des dieux lares. Les portraits, les souvenirs de la famille impériale ornaient son cabinet ; il ne parlait qu’avec attendrissement de la reine Catherine et du roi Jérôme, et il était fier du grand cœur magnanime, de l’esprit et de la beauté impériale de sa sœur. Par la sollicitude éclairée avec laquelle il dirigeait l’éducation de ses enfans, il s’efforçait de les rendre dignes de leur nom. Ami sûr, fidèle et bon, il critiquait aussi ses amis ; mais, les dénigrait-on devant lui, il les défendait avec chaleur et ne se déprenait pas d’une vieille affection pour un dissentiment Combien j’en ai eus avec lui ! Quand il devint le chef du parti bonapartiste, il m’écarta de son action politique, dans la crainte que mon « impopularité ne fît sombrer sa barque, » qui, hélas ! même sans moi, n’a pas fait trop heureuse figure sur les vagues. Il n’en fut que plus attentif à préserver notre amitié privée ; depuis comme avant, je l’ai trouvé affectueux dans mes peines, et il m’a trouvé tel dans les siennes.
Admis dans sa confiance, on pouvait lui dire sans crainte toutes les vérités sans qu’il se fâchât d’aucune verdeur de langage. On n’était pas obligé d’être courtisan pour garder ses bonnes grâces et il n’a tenu rancune à personne d’une contradiction loyale. Une seule forme de discussion l’impatientait, l’ironie. Il comprenait le sarcasme impétueux, qu’il maniait en maître, mais il restait toujours sérieux, et, ne sachant pas plaisanter, il lui déplaisait qu’on se le permît avec lui. Cependant, même dans les relations les plus cordiales, il restait par quelque coin soupçonneux, défiant, et se croyait obligé à cacher, au moins provisoirement, quelque chose à ceux pour lesquels il semblait habituellement n’avoir pas de secret. Il paraissait ne pas se rappeler qu’il