de la force romaine et de la finesse toscane : la force se révélait dans les contours pleins, amples, sculpturaux du crâne, dans le menton qui s’avançait ; la finesse, dans le sourire séducteur ou sarcastique d’une lèvre mince, petite ligne rouge à peine perceptible, dans le bel œil noir, perçant, parfois doux, parfois rempli de feu ; la voix métallique, stridente, sonore, portait loin ; bien que le cou fût court et enfoncé dans des épaules relevées, le port était imposant : c’était celui du grand Empereur. En l’abordant, on se sentait en face d’une intelligence et d’une dignité : n’eût-il été ni prince, ni Bonaparte, on l’eût remarqué.
Il manquait d’une culture régulière et d’une instruction approfondie. Il y suppléait par une curiosité à s’enquérir constamment en éveil ; recherchant partout les hommes supérieurs en tous les ordres, il saisissait avec acuité, retenait avec sûreté, formulait avec couleur ce qu’il avait acquis ainsi, de telle sorte qu’il n’était aucun sujet sur lequel on n’eût plaisir à l’entendre. Sauf la musique, il aimait l’art, surtout le bel art classique d’Athènes et de l’Italie. La politique toutefois avait ses prédilections, et ce n’est pas dans Machiavel, ni Montesquieu, ni Tocqueville qu’il l’étudiait ; il lisait et méditait sans cesse les œuvres de son oncle, les annotant pour l’instruction de ses enfans. Cette étude n’avait pas affaibli des opinions puisées dans les épreuves de sa jeunesse : il restait démocrate et même républicain autant que bonapartiste, toutefois à la condition sous-entendue que toute démocratie doit se donner un chef. Quoiqu’il parlât volontiers de liberté, son tempérament était d’un jacobin plus que d’un libéral. On l’a appelé César déclassé qui languissait sur les marches du trône, il eût été mieux de dire : Jacobin dépaysé qui s’agitait sur les marches du trône.
Il n’avait pas la possession magistrale, comme un Berryer, un Jules Favre, un Billault, des ressources de la dialectique oratoire. C’était surtout un causeur à soubresauts capricieux, mais la causerie, quand elle étincelle de si vives lueurs, qu’elle se déroule en de si heureuses souplesses, qu’elle s’accuse en tant de relief, qu’elle emporte par tant d’imprévu et de fougue, est une des formes les plus originales de l’éloquence. Ce qu’il écrivait avait aussi un tour très personnel, mais il était nécessaire que quel- qu’un le lui débroussaillât.
Il se complaisait aux détails plus qu’aux aperçus généraux. Il y avait en lui de l’administrateur et, s’il l’eût voulu, de l’érudit