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XI

Le Prince me fit également prier de venir le voir. Depuis que ce républicain était devenu une Altesse impériale installée au Palais-Royal, sans rompre, je m’étais écarté. A la mort de son père, j’allai m’inscrire chez lui, et m’en tins là. Je me rendis néanmoins à son appel, car il avait publiquement adhéré à mon programme de l’Empire libéral. Je le trouvai, suivant son habitude de mécontent, très pessimiste : « L’Empire, me dit-il, pourrit sur pied, l’Empereur baisse ; quand je lui parle, il ne répond rien, ou bien, il me dit : « En théorie, tu as raison, mais, quand on gouverne, on voit les choses autrement. » On était très irrité autour de lui de mon discours ; lui, m’a dit tranquillement : « Tu as été un peu violent. » — Il cédera toujours à l’opinion publique. La démocratie triomphera, mais son alliance avec l’Empire lui serait utile. — Je suis avec vous ; à Paris et dans les grandes villes, mon appui serait compromettant à cause de ma situation, mais, en province, je puis beaucoup et je vous aiderai. » — Il s’expliqua à bâtons rompus sur les personnes : « Guéroult n’est pas assez libéral, il est resté saint-simonien, je le lui dis souvent, il ne croit qu’au progrès venu d’en haut. Prévost-Paradol a un bien grand talent, il a dit à Piétri que si l’Empire donne la liberté, il n’en sera nullement l’ennemi ; il doit se présenter à Aix, j’écrirai en sa faveur au procureur général que je connais beaucoup. » Il me mit en garde contre Gregory Ganesco, le propriétaire du Courrier du Dimanche, le Barnum de toute la presse d’opposition libérale : « Boitelle m’a dit que c’était un agent ; on le paie même fort cher : une quarantaine de mille francs. Seulement ils sont furieux contre lui parce qu’il les a trahis et reçu d’autres mains. Ils ont voulu lui donner une leçon en l’expulsant. »

Quand je quittai le Prince, il me dit : « Venez quelquefois me voir ; si vous voulez connaître ma femme, elle en sera heureuse ; si vous voulez lui présenter votre femme également, faites comme vous voudrez ; je ne veux pas vous compromettre. » Mes visites furent discrètes, espacées, pendant longtemps encore.

Le Prince était de haute taille, le buste vigoureux, porté par des jambes relativement grêles ; dans sa tête, se marquait un mélange

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  1. 8 juillet 1862.