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prit à l’Empereur lui-même, l’accusa « de reculer devant une force astucieuse, une puissance perfide dont le Piémont n’a été que l’instrument, la Révolution italienne patronnée par l’Angleterre, incarnée dans la personne d’Orsini ; » et il lut le testament de l’assassin. Une immense rumeur, plus approbative que contraire, s’éleva dans l’Assemblée. Il continua : « Etes-vous révolutionnaires ou êtes-vous conservateurs ? Vous avez reculé pas à pas devant Garibaldi, tout en vous proclamant son plus grand ennemi ; vous avez fourni à la fois des canons rayés au Piémont et de la charpie au roi de Naples ; d’une main, vous avez protégé le Saint-Siège, de l’autre dressé son acte d’accusation. » A chacune de ces paroles, on entendait le grondement de l’Assemblée ; c’était celui du volcan qui va éclater. Enfin l’enthousiasme déborda lorsque, dirigeant son geste vers notre banc et nous bravant du regard, il s’écria, d’un accent dont il est impossible de rendre la contagieuse et farouche conviction : « Il est temps de vous arrêter sur cette pente fatale où vous poussent les ennemis implacables de la France et de la dynastie... Il est temps de regarder la Révolution en face et de lui dire : Tu n’iras pas plus loin ! » Il s’assit au milieu d’applaudissemens frénétiques mêlés de trouble. Je n’ai jamais entendu un orateur exalter, remuer, fanatiser à ce point une réunion d’hommes. Viennent les Thiers, les Berryer, ils ne diront rien de plus éloquent. Causa finita est.

Jules Favre répondit à cette belle invective en défendant l’amendement des Cinq, qui demandait le retrait immédiat de nos troupes. Il s’indigna que Keller eût osé jeter dans le débat le nom d’Orsini : « J’ajouterai, répondant au discours que j’ai eu l’affliction d’entendre, que je n’ai pas été médiocrement surpris quand on a indiqué comme une des causes de cette grande décision (la guerre) je ne sais quel document dont je ne veux pas dire l’origine et auquel se rattache un nom qui n’aurait pas dû être prononcé ici. Ah ! qu’il le sache bien, celui qui a eu ce triste courage (Mouvement) : non seulement il outrageait ainsi son souverain, mais encore et surtout il insultait au bon sens et à l’honneur de la France. Vous n’avez pas besoin de recourir à la bassesse de sentimens impossibles pour expliquer ce grand épisode de notre histoire dont la gloire ne saurait être ternie par d’imprudentes insinuations. — Le Piémont n’avait pas violé le droit des gens en dissipant une armée réunie sur sa frontière pour l’attaquer. Castelfidardo a été un fait de guerre et non un guet-apens. Le