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populaire, un ministère est la béatitude suprême, et un ministre, un personnage ayant dans son cabinet un coffre rempli de pièces d’or dans lequel il puise à pleines mains. Il n’admet donc pas qu’une évolution conduisant au pouvoir puisse être désintéressée. Par d’autres raisons moins sottes, telle est aussi l’opinion des politiciens de haut et bas étage. Ils ne peuvent supposer un homme dédaigneux des jouissances de vanité, de prépotence, d’intérêt, après lesquelles ils soupirent. Je pensais, au contraire, que ma force pour conduire à bien ma campagne libérale serait plus considérable d’un banc de député que d’un cabinet de ministre. Le seul ministère auquel je prétendisse était celui que Manin et Deák avaient exercé parmi leurs compatriotes, celui de l’opinion publique. « Mais on a beau compasser dans son esprit tous ses discours et tous ses desseins, l’occasion apporte toujours je ne sais quoi d’imprévu, en sorte qu’on dit et qu’on fait toujours plus ou moins qu’on ne pensait[1]. »


Le gouvernement ne tarda pas à me notifier ce qu’il pensait de ma politique de liberté. Il avait proposé quelques atténuations au Décret de 1852, sur la presse. Le rapporteur avait dit : « Votre commission a accueilli avec plaisir une mesure qui est la continuation du mouvement libéral inauguré le 24 novembre. » Billault expliqua qu’il ne s’agissait pas d’une continuation, mais d’une fin. « Le grand acte du 24 novembre n’a pas été une de ces concessions premières à l’aide desquelles l’ennemi, pouvant plus commodément investir la place, finit par en devenir le maître. L’abrogation des lois de sûreté sur la presse, sur le droit de réunion ; dans les élections, l’abandon des candidats gouvernementaux en présence des candidats hostiles ; la métamorphose prochaine du gouvernement fondé sur la Constitution de 1852 en ce qu’on appelle le gouvernement parlementaire, toutes ces choses ont été produites, proclamées comme les conséquences nécessaires du décret du 24 novembre. N’en croyez rien, Messieurs. Le gouvernement n’entend laisser pénétrer, dans la citadelle dont la France lui a confié la garde, ni les ennemis déclarés, ni les ennemis déguisés... »

Les ennemis déguisés, le mot était à mon adresse : on répondait par une brutalité à mon appel généreux. Les intransigeans en

  1. Bossuet, Politique tirée de l’Écriture sainte.