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dont je ne fus pas le maître, je m’adressai à l’auditeur invisible qui. des Tuileries, suivait le débat et je lui dis :

« En 1814, lorsque l’empereur Napoléon prenait la route de l’île d’Elbe, qu’il traversait la France, vaincu par l’étranger, abattu par cette fortune qu’il avait trop tentée, il croyait qu’il lui restait dans le cœur des populations une affection universelle, et son étonnement fut profond de se sentir, à mesure qu’il avançait dans le Midi de la France, accablé par les malédictions. Parfois il ne put, nous dit son historien, retenir les larmes qui coulaient silencieusement de ses yeux, et qu’il dérobait aux regards des commissaires étrangers, ses gardiens. Aussi, quand, après quelques mois de retraite à l’île d’Elbe, il rentra, par un coup de fortune inespéré, dans ce palais des Tuileries qu’il avait quitté quelques mois auparavant, il y appela Benjamin Constant, jusque-là un de ses plus intraitables ennemis, mais qui ne l’avait détesté que par amour pour une puissance encore plus élevée et plus noble, la liberté, et il lui dit : « Des discussions publiques, des élections libres, des ministères responsables, la liberté de la presse : je veux tout cela, la liberté de la presse surtout ; l’étouffer est absurde. » — Plus tard, lorsque encore plus éprouvé par l’adversité, lorsque après avoir été broyé avec la France sur le champ de bataille de Waterloo, il fut arrivé sur ce rocher où ses douleurs ont fait oublier ses fautes, alors, messieurs, il écrivit à son frère Joseph, retiré aux Etats-Unis : « Dites à mon fils qu’il donne à la France autant de liberté que je lui ai donné d’égalité. » — Voilà ce que nous demandons à l’Empereur. Si notre parole pouvait avoir sur lui une influence quelconque, nous lui dirions : « Quand on est le chef d’une nation de 36 millions d’hommes. ; quand on a été acclamé par elle ainsi qu’on nous le rappelle chaque jour ; quand, grâce à la force de cette nation héroïque, on dispose du monde en ce sens que, de quelque côté qu’on se penche, on y amène la fortune ; quand on est le plus puissant parmi les souverains ; quand la destinée a épuisé pour vous toutes ses faveurs ; quand tout vous a été accordé ; quand, par une chance légendaire, on est sorti de prison pour monter sur le trône de France, après avoir traversé l’exil ; quand on a connu toutes les douleurs et toutes les joies, il reste encore une joie ineffable à goûter, qui dépasserait toutes les autres et donnerait une gloire éternelle : c’est d’être l’initiateur courageux et volontaire d’un grand peuple à la liberté, c’est de repousser des conseillers pusillanimes