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principes et le bonheur de ma nation, parce qu’ils me viendront d’un empereur ou d’un roi. Si quelque vertu politique m’est échue en partage, c’est surtout, j’ose le dire, cette abnégation parfois bien amère, qui, en présence de la justice et de la félicité publique, me fait fouler aux pieds toutes les considérations de l’amour-propre. Il n’en est pas moins vrai que l’Empire, tout en continuant de garder l’immobilité, a fait positivement demi-tour à gauche, et que nous n’avons rien de mieux à faire que de répondre au signal, dussions-nous pour la troisième fois, comme cet ancien, nous faire envoyer aux carrières. »

Les libéraux vrais trouvèrent que l’Empereur n’était pas resté immobile, qu’il avait fait plus qu’un demi-tour à gauche. Ils jugeaient les concessions considérables. Sans doute elles étaient insuffisantes, puisqu’elles n’établissaient ni la liberté de la presse, ni la responsabilité ministérielle, ni la liberté des élections, ni la spécialité budgétaire, mais elles y conduisaient inévitablement. Il fallait donc s’en réjouir, en savoir gré, les accepter avec confiance, sauf à en tirer plus tard ce qu’elles contenaient implicitement.

Doudan et Prévost-Paradol se signalèrent par la netteté de leurs appréciations. Doudan écrivait : « Quels que soient les motifs qui ont dicté les dernières modifications dans le mode du gouvernement, et les motifs sont sans doute divers, il reste que ces changemens méritent bien qu’on les regarde. Je les prends pour moi tout à fait en bonne part, et si ceux qui se soucient encore de la conduite des affaires publiques se conduisent sensément, on peut se faire de ces débris de liberté des digues ou des remparts utiles. Enfin il n’est point douteux que tout va changer en France, je ne dis pas profondément, mais, du moins, tout va changer de face au sens étymologique. S’il ne faut pas exagérer ce changement, on ne peut non plus le tenir pour nul[1]. »

Prévost-Paradol, quoique le Courrier du Dimanche se fût montré malveillant, y écrivit pour son compte[2] : « Ce décret contient deux choses qu’on n’en peut désormais effacer, qui rétablissent parmi nous les deux bases principales d’un gouvernement libre : 1° la présence des ministres à la Chambre élective. Ils n’y viennent pas tous, mais ils ne tarderont guère à vouloir

  1. Doudan, lettre du 6 décembre 1860.
  2. Journal des Débats, 28 novembre et 2 décembre 1860, Courrier du Dimanche, 13 janvier et 10 février 1861.