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que ce soit une force ; mais évidemment le commun des mortels n’en est pas aussi capable ; il y faut des grâces d’état toutes particulières. L’empereur d’Autriche a pu écouter sans sourciller, dans la bouche éloquente de l’empereur d’Allemagne, des phrases de bienvenue comme celles-ci ; « Mon cœur a battu aujourd’hui plus que jamais pour l’empereur François-Joseph, et cet accueil ne s’adresse pas seulement à la noble personnalité de l’empereur François-Joseph, mais à l’allié et à l’ami fidèle de l’empereur d’Allemagne, de son père et de son grand-père, que le peuple allemand voit en Votre Majesté. Votre Majesté est venue offrir son amitié chère à la quatrième génération d’empereurs qu’elle a vue passer, et ce sera le plus précieux des joyaux qui auront été donnés aujourd’hui à mon fils. » François-Joseph a vu effectivement, au cours de son existence, trois générations d’empereurs d’Allemagne se succéder sous ses yeux, et le Kronprinz offre en sa personne l’espérance d’une quatrième. Mais, lorsqu’on remonte à la première, comme Guillaume II le fait si hardiment, on éprouve quelque surprise à l’entendre parler de cette amitié fidèle et inaltérable qui, si nos souvenirs sont exacts, paraît pourtant bien y avoir subi quelque éclipse. Nous trompons-nous et Sadowa n’est-il qu’un rêve ? Pour cette fois, nous regrettons l’absence du roi Humbert : François-Joseph aurait pu éprouver quelque soulagement en songeant auprès de lui à Sadowa. Mais qu’a-t-il pu penser de cette éloquence chaude et vibrante, qui fait si bon marché de l’histoire, tout occupée qu’elle est à célébrer le présent et à prédire l’avenir ? Nous n’en saurons sans doute jamais rien. Il s’est contenté de répondre sur le moment qu’il était « plein d’une joyeuse confiance dans la durée de l’amitié qui unit les deux Empereurs ; » il n’a parlé alors que de ceux d’aujourd’hui ; mais plus tard, après s’être recueilli, plutôt, sans doute, pour chasser que pour rappeler ses souvenirs, il a dit à son tour : « Je suis très heureux de saluer le prince à son entrée dans la carrière publique. J’y vois un présage heureux qui annonce que l’union fidèle qui a existé entre ceux qui vinrent avant lui subsistera encore au cours des générations futures. » Il y a parfois une étrange ironie, involontaire sans doute, dans la parole des princes.

A son retour à Vienne, François-Joseph a été accueilli avec enthousiasme par ses sujets allemands : nous ignorons si les autres ont été aussi satisfaits des résultats de son voyage. Et pourtant, si on fait comme lui et si on laisse au passé tout ce qui lui appartient irrévocablement, les manifestations de sympathie et de respect qui se sont multipliées autour de sa personne peuvent, en quelque mesure,