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un savant de la plus haute valeur, avait obtenu à l’Université de Munich une chaire que Henri Heine espérait obtenir. S’il ne l’avait pas obtenue, son nom serait aujourd’hui honorablement oublié, au lieu d’être à jamais couvert de ridicule.

Lorsque, dans les Reisebilder, Heine se moque des vers d’un certain Spitta, qui ont le seul tort de « ne pas valoir la peine d’être lus, » nous sommes prêts à admettre que les vers de ce Spitta ne valent pas la peine d’être lus. En réalité, ce sont de fort beaux vers, dont M. Karpeles et M. Richard Meyer s’accordent à faire l’éloge. Et Heine lui-même les admirait sincèrement : plusieurs de ses lettres peuvent en faire foi. Mais les vers de Spitta avaient paru dans une Revue où Heine espérait qu’on publierait ses vers, et un critique influent avait appelé les vers de Spitta « les meilleurs qu’on eût écrits depuis Goethe et Uhland. »

Lorsque Heine consacre un chapitre entier de ses Reisebilder à diffamer, — il n’y a point d’autre mot, — le poète Platen, l’accusant entre autres choses d’être un escroc, et d’avoir des vices honteux, ce n’est point aux théories métriques de Platen qu’il en veut : il se venge, simplement, de ce que Platen lui a reproché de profaner la poésie en l’employant à railler les choses sacrées. Lorsque, dans Lutèce et ailleurs, Heine donne à entendre que Meyerbeer n’écrit pas lui-même la musique de ses opéras, il omet d’ajouter que l’indignation qu’il en éprouve tient à ce que Meyerbeer ne l’a point servi avec assez de zèle dans ses démarches pour toucher l’héritage de son oncle.

Pareil aux magistrats qui, en toute affaire criminelle, ont pour principe de « chercher la femme, » M. Karpeles a pour principe que la critique de Heine ne peut se comprendre, si l’on ne cherche pas les causes de « l’animosité personnelle » dont elle est l’écho. Et c’est ainsi qu’il découvre les motifs qu’a eus le poète pour se moquer de Dœllinger et de Freiligrath, de Louis Bœrne et de Wolfgang Menzel. « Voyez, semble-t-il nous dire, comme le pauvre homme a été attaqué ! Ses sarcasmes ne sont jamais que des représailles. Auriez-vous exigé qu’il louât tel de ses confrères, qui lui a enlevé une place qu’il convoitait ou tel autre, qui l’a accusé d’être un mauvais patriote ? » Non certes, c’est ce que, raisonnablement, nous ne saurions exiger ! Mais M. Karpeles oublie trop que les représailles de Heine s’offrent à nous, dans ces livres, comme des jugemens désintéressés ; et je crains qu’à vouloir, ici encore, servir la mémoire de son héros, l’excellent biographe ne risque plutôt de lui nuire. Car bien d’autres poètes, avant Heine, ont mis dans leurs vers l’écho de leurs animosités personnelles : mais nous