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Il refuse même de prendre au sérieux le prétendu retour de Heine, dans les dernières années de sa vie, aux croyances religieuses de ses pères. « Nous ne pouvons malheureusement, dit-il, y attacher ni plus ni moins de foi qu’à ses autres confidences. » C’est encore une suprême mystification, géniale du reste, et peut-être inconsciente.

Ce mot de « mystification » se retrouve, coïncidence curieuse, dans presque toutes les études consacrées à Henri Heine par les critiques allemands. Et je ne puis m’empêcher de citer encore quelques lignes d’un autre critique, qui me paraissent exprimer le mieux du monde l’opinion moyenne des compatriotes du poète sur le sens, le caractère, et la portée du Livre des Chants. Dans une très intéressante biographie de Schumann, récemment parue, le professeur Richard Batka juge de la façon que voici l’interprétation musicale qu’a faite Schumann des poèmes de Heine :


Le cas de Heine est unique, sans équivalent dans notre littérature. Tandis qu’avant lui les romantiques chantaient volontiers l’aventure de musiciens errans dont le jeu vif et enjoué contrastait avec la profonde souffrance qu’ils avaient dans le cœur, Henri Heine, cet enfant gâté des Grâces, a imaginé, par plaisanterie, de faire tout l’opposé. Il feint d’être indiciblement triste, d’avoir les sens et l’âme navrés d’amoureuse peine ; il le feint si adroitement que le lecteur confiant finit par sentir des larmes couler sur ses joues, au grand divertissement de notre farceur. Et dans l’immense troupe des victimes de sa mystification, à côté de nombreux professeurs d’esthétique et historiens de la littérature, figurent en masse nos innocens musiciens. Ils ne devinent la plaisanterie que par momens,. lorsque Heine lui-même rompt, d’un soudain éclat de rire, le voile dont il s’amuse à la déguiser ; mais que le poème entier, que l’œuvre entière du poète n’est rien qu’une plaisanterie de génie, c’est ce dont nul d’entre eux ne s’est aperçu. La valeur musicale de lieds tels que ceux de Schumann, d’ailleurs, ne s’en trouve point diminuée : mais c’est une erreur absolue de croire, comme on le croit encore volontiers, que Schumann a fidèlement rendu l’esprit lyrique des poèmes de Heine. A cela aucun musicien ne saurait prétendre : car la musique, étant de tous les arts le plus incapable de mensonge, est hors d’état de rendre des sentimens ironiques. Schumann a donc pris la mensongère poésie de Heine simplement pour ce qu’elle feignait d’être : il a profité de l’exagération sentimentale affectée, à dessein, par cette poésie, pour traduire la profondeur naturelle de ses propres émotions : et ainsi, régénérant en quelque sorte les poèmes de Heine dans le sein de la musique, il les a transformés en de nobles et pures images aptes à toucher tous les cœurs.


L’œuvre tout entière de Heine n’est-elle donc vraiment « rien qu’une plaisanterie de génie, » depuis le léger Intermezzo jusqu’à ces Mélodies hébraïques où M. Richard Meyer lui-même se refuse à reconnaître