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d’animer la solitude, ils la font paraître plus vide, plus sauvage, plus abandonnée.

La lumière darde, implacable. Elle flagelle la presqu’île de ses feux irrités ; elle s’acharne, dirait-on, à en exagérer toutes les tares, toutes les lèpres. Entre les clôtures de pierres sèches, se meurt une végétation malade dans une terre appauvrie. C’est la même tristesse accablante qu’à mon premier voyage : seulement, au lieu d’un désert de boue, c’est un désert calciné.

Aussi, quel allégement de retrouver la mer, la brise, et d’en- tendre courir à nouveau le sonore frémissement des eaux du Golfe dans le sillage du Solacroup !


III

Nous n’avons fait, à l’aller, que contourner les îles morbihannaises, dont le nombre, s’il faut en croire les riverains, égale celui des jours de l’année ; mais le retour comporte une escale dans l’une d’elles, et il va sans dire que l’on n’a pas choisi la moins attrayante.

Les Français l’appellent l’Ile aux Moines. Des religieux en furent, paraît-il, les premiers colons. Elle est digne d’avoir été visitée par saint Brandan et par les dix-sept compagnons qu’il entraînait à sa suite sur les mers ; car c’est vraiment une de ces terres de promission célébrées dans les anciennes odyssées celtiques, où il suffisait, au dire de nos pères, d’avoir séjourné quelques heures pour que les vêtemens en restassent parfumés à jamais.

On me conte sur elle des légendes exquises, pendant que je regarde sa forme encore lointaine se détacher peu à peu de l’archipel qui lui fait escorte. La tradition veut qu’elle ait été reliée jadis à l’Ile d’Arz par une chaussée dont on explique ainsi la disparition. Il y avait à l’Ile d’Arz un jeune homme de haute lignée qui s’était épris d’une fille de pêcheur. Elle était belle et chantait à voix merveilleuse, « à voix de seraine, » comme parlent les vieux poètes, et elle avait si bien ensorcelé le jouvenceau qu’il se mourait du désir d’en faire sa femme. Les parens de celui-ci, pour le préserver de cette mésalliance, eurent recours au moyen le plus énergique : ils l’enfermèrent au couvent de l’Ile aux Moines, aimant mieux le donner à Dieu que de le voir à une fille de basse espèce. Mais la pêcheuse, sous prétexte de faner du goémon ou