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Lorsque je fus, en effet, pour franchir le courtil sablonneux qui donnait accès au seuil des Falc’her, je ne fus pas peu surpris d’apercevoir des chandelles allumées derrière les rideaux des vitres, quoiqu’il fît encore jour. Je heurtai à la porte. Une jeune fille aux yeux rougis de larmes vint m’ouvrir.

— Samuel Falc’her, s’il vous plaît ?

— C’est ici, monsieur, me répondit-elle en breton.

Je me trouvai dans la cuisine toute pleine de gens agenouillés. Une vieille, près de l’âtre, récitait les prières des agonisans. Dans un retrait, contre la fenêtre, sur la table drapée de blanc en guise de lit funéraire, reposait un homme d’une cinquantaine d’années, une figure énergique de marin, aux traits de parchemin durci, immobilisés, pétrifiés par la mort. Penché sur lui, un barbier achevait sa toilette d’éternité. On entendait grincer le fer du rasoir. J’embrassai la scène d’un coup d’œil rapide. Un douanier, venu en voisin « pour jeter de l’eau bénite, » sortait : je profitai de ce que ma présence n’eût pas encore été remarquée, pour m’esquiver avec lui.

— Le trépassé, serait-ce le maître de la maison ? demandai-je.

— Lui-même... Un coup de sang... Il rentrait de pêche. En mettant le pied sur le môle, il s’est abattu comme un bœuf.

Je m’en revins avec le douanier jusqu’à la bourgade. Sans lui, je crois bien, je n’aurais jamais su regagner mon gîte. Toute la nuit, le vent souffla en tourmente. Dans les intervalles d’accalmie, je m’imaginais ouïr des appels, des rumeurs de foule, bientôt évanouis, perdus dans le râle effrayant de la mer. Je m’enfuis à l’aube, dans la stupeur du crépuscule matinal, sous un ciel livide, un ciel tragique, dévasté comme un champ de carnage...

C’est un Quiberon d’été qui s’exhibe aujourd’hui à notre vue. Nous nous y acheminons par une route poudreuse, jalonnée de villas trop neuves qui sentent le campement, le logis de passage, et dont les architectures de banlieue parisienne détonnent sur ce sol âpre, dans cette espèce de Bretagne pétrée, plus morne encore peut-être sous les ardeurs du soleil d'août que sous la tombée lugubre de l’embrun de novembre. Un casino nous envoie des musiques tapageuses et des chants de cabaret montmartrois. Des baigneurs, des baigneuses, promènent, à travers l’aridité des landes et des sables, leurs costumes multicolores, leur désœuvrement et leurs journaux. Mais que tous ces bruits, tous ces spectacles de la vie civilisée semblent donc ici déplacés et piteux ! Loin