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France qu’une frégate à qui ce signalement convienne. Des vivats éclatent à notre bord, tandis que, des haubans de la Melpomène, des nuées de gabiers bretons nous renvoient, dans tous les dialectes de la péninsule, notre salut.

Le programme de la fête veut que nous touchions à Quiberon. J’avais visité naguère, un jour d’hiver, sous la pluie, cette loque de terre décharnée. Au sortir des landes de Plouharnel et de Carnac, désolées sans doute, mais que peuplent du moins leurs énigmatiques processions de pierres, cette longue côte sournoise, aplatie et comme rampante, m’était apparue d’une sauvagerie sinistre, dénuée de toute poésie et de toute grandeur. Il en est de certains paysages comme de certaines physionomies qui semblent marquées, par avance, pour quelque atroce fatalité. L’échine basse de Quiberon dut appeler de tout temps les débarquemens furtifs et sans gloire. Il y a comme une harmonie préétablie entre cette terre et le cauchemar historique qui pèse sur elle.

J’en reçus, dès l’abord, une impression de malaise qui, dans la suite de la journée, ne fit que s’accroître. J’avais en poche quelques mots de recommandation pour un pêcheur aisé dont l’aide, m’assurait-on, me faciliterait les moyens de faire une connaissance immédiate avec la contrée. Ma chambre retenue à l’hôtel, je me mis en quête de ce brave homme.

— Les Falc’her ? m’avaient répondu des gamins, en me montrant l’occident, d’un geste vague. C’est là-bas dans la « falaise. »

Je pris le premier chemin qui s’offrait dans cette direction. Une pluie fine, couleur de cendre, que les grands souffles du large chassaient en tourbillons de poussière d’eau, enveloppait toutes choses comme des plis détrempés d’un crêpe. J’allais devant moi au petit bonheur. La sente que je suivais, flanquée à droite et à gauche de murets croulans, décrivait les zigzags les plus fantaisistes et, à tout moment, menaçait de me fausser compagnie, de me planter là, en détresse, au milieu de l’immense pays noyé. Deux ou trois fois, une plainte plus sourde, plus continue que celle du vent, m’avertit que je côtoyais le rivage. Une énorme masse rectiligne surgit soudain du brouillard. J’étais au pied du fort Penthièvre. J’interrogeai le soldat de garde. Il m’apprit que je tournais le dos au point que je désirais atteindre.

Et me voilà de recommencer à rebours un bon tiers du trajet parcouru. Au terme de cette décevante pérégrination m’attendait une bien autre aventure.