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l’avait connu. Ne soyez pas trop surpris, si l’on vous conte que c’est lui encore qui fit mettre en pièces le menhir de Mané-Hroëk. La colossale statue du géant de pierre offusquait, paraît-il, le chétif imperator.

C’est, on s’en souvient, ce menhir monumental que l’amiral Réveillera souhaita tout récemment de reconstituer et de faire dresser en plein Paris, dans le Paris de l’Exposition, comme le symbole impérissable de l’éternité du génie celtique. Les gazettes s’émurent, les unes pour applaudir au projet, les autres pour s’en gausser ; il y en eut même qui s’indignèrent. En fin de compte, force fut à l’amiral de se retirer sous la tente, avec son rêve ; et l’immense granit déchu continua de joncher de ses ossemens épars la lande de Locmariaker où ils fournissent aux moutons un peu d’ombre, aux poètes un thème à méditations grandiloquentes, aux touristes sans lettres un rempart naturel qui leur permet de déjeuner sur l’herbe, à l’abri du vent.

— Pensez donc ! me confie un indigène, il est notre richesse, ce menhir ! Sans lui, sans César et sans nos huîtrières, qu’est-ce que nous deviendrions ?


II

Le large, maintenant, Houad, Houadic, les deux îles jumelles, s’estompent en une fumée flottante vers le sud. Le phare de la Teignouse monte, au loin, sa faction solitaire sur un récif à mine inhospitalière et maussade, bien digne de son nom hargneux. La mer, autour de nous, irradie. La côte vannetaise n’est plus qu’un trait imperceptible dans le poudroiement doré de l’horizon septentrional. Nous faisons cap sur Port-Haliguen. Comme nous en approchons, voici grandir sur la splendeur des eaux une vision presque irréelle de navire, qui éveille en nous un monde de réminiscences classiques, nous donne, un instant, l’illusion que nous croisons quelque somptueuse galère paralienne, attendant de se mettre en marche vers Délos.

Qu’est-ce que cela peut bien être ? ... Les marins du Solacroup ne se le sont pas demandé deux fois. Cette mâture élancée, ces hautes vergues où les voiles carguées font l’effet d’une suspension de blanches draperies, ces hunes aériennes, cette profusion d’échelles, de câbles, de cordages, tout ce gréement, enfin, si harmonieux et si compliqué tout ensemble, il n’y a plus en