Des bornes minuscules marquent la limite de chaque propriété, réduite le plus souvent à quelques acres. Rien ne rompt l’uniformité de la vaste plaine nue, si ce n’est, de place en place, la silhouette d’un calvaire, veillant, comme l’hermès antique, sur les labours confiés à sa garde. Elles sont légion, ces croix ; elles peuplent l’étendue. L’îlienne invoque, le matin, leur bénédiction sur sa tâche et se signe devant elles, le soir, dès que l’angélus crépusculaire a tinté pour le repos.
A la lisière de la zone arable, nous entrons dans le pâtis communal. Des vieux, retraités de l’Océan, y font paître, au bout d’une longe, des vaches qu’à l’exiguïté de leurs proportions, comme aux fantaisies de leur humeur, on prendrait plus volontiers pour des chèvres. L’homme et la bête ruminent côte à côte : tandis que l’une remâche son herbe, l’autre remâche ses souvenirs. Un de ces vétérans de la mer se plaint à nous de sa déchéance :
— C’est triste, allez, après avoir manœuvré l’écoute de la grand’ voile, de n’être plus bon qu’à tenir un licol !
Par delà le cercle miroitant des eaux, ses yeux où le regard achève de s’éteindre remontent vers ses navigations anciennes, vers les grandes houles bleues qu’argenté le sillage des thoniers et que ses prunelles, à lui, ne contempleront jamais plus.
C’est notre dernière rencontre. Nous sommes, à présent, hors de toute humanité, en plein steppe vierge. De courts ajoncs embroussaillent le sol maigre, s’y cramponnent de toute la vigueur obstinée de leurs sarmens, s’efforcent péniblement de fleurir. Puis, ce sont des touffes de plantes barbelées, puis la précaire végétation des roches, les romarins, les lichens, les saxifrages. Après, plus rien. On plane sur du vide ; on se sent devenir impondérable ; on est comme la fumée de ce vapeur qui passe : on flotte, dissous dans le vent, dans le soleil, dans la mer. D’une faille, à nos pieds, s’exhalent des sanglots immenses, comme si quelque Titan agonisait là, écrasé sous la masse du promontoire.
— Le trou de l’Enfer ! nous dit le garçonnet.
On les compte par centaines, au long des côtes bretonnes ces « enfers. » Celui-ci ne retentit point des hurlemens désespérés que font entendre, à Plogoff, les damnés du Raz, mais il ne laisse pas d’être d’une belle horreur. Pendant que nous nous penchons pour sonder l’abîme, notre guide a subitement disparu. Et