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terre de Rochecotte, les fidèles amitiés qu’elle inspira et ressentit toujours[1].

Un an après la mort de Talleyrand, Mme de Dino écrivait à Barante cette lettre d’une sensibilité pénétrante : « J’aimerais bien à vous revoir, car vous manquez et à mon cœur et à mon esprit. L’absence me paraît la mort placée tout à coup au milieu de la vie. Je ne suis plus guère sensible à rien d’extérieur, et fort désintéressée de tout au dedans de moi-même... Je cherche en vain l’emploi de mon activité si longtemps exercée ! On me soigne, on est gracieux et aimable pour moi sans que j’y sois assez sensible. C’est de soigner, de me dévouer, d’entourer, d’être utile dont j’ai besoin, bien plus que d’être l’objet des bons procédés des autres. J’aurai bien de la peine à remonter ma vie ! J’ai perdu M. de Talleyrand quinze ans trop tard ou trop tôt, à l’âge le plus fâcheux pour recommencer la vie sur de nouveaux frais... Je tourne mes regards chaque jour plus fixement vers le par delà. J’ai beaucoup lu dans cet espoir-là, et avec un plaisir particulier, les Lettres spirituelles de Fénelon, les Discours sur la vie cachée en Dieu de Bossuet, et ses admirables Commentaires sur l’Evangile. Je vois assez souvent M. Dupanloup, et avec beaucoup de goût, et quelque efficacité[2]. »

Il y aurait d’autres enseignemens à tirer des Souvenirs de Barante. Ainsi l’on constate, avec un peu d’étonnement, que Barante et ses amis entonnent sur tous les tons, jouent de toutes

  1. La duchesse de Broglie n’avait pas vu les multiples facettes de cette brillante personnalité, quand elle résumait son impression un peu hâtive en ces lignes : « Elle voudrait faire des révolutions populaires avec des robes de crêpe et des turbans d’argent, remuer les masses avec de bons mots, et bouleverser la société sans déranger ses soirées. C’est une singulière personne ; elle est toujours sur la défensive ; elle a de l’humeur, et ne le cache pas plus qu’une personne tout à fait naïve, qui n’aurait appris à cacher aucune de ses impressions. C’est une singulière réunion. Son esprit est tranchant et formel, mais elle en a beaucoup. »
  2. Voilà la note mélancolique, et voici la note gaie : «... 11 février 1836 : Je veux vous conter une bonne plaisanterie de ce vieux chat de Sémonville, dont les griffes ne s’usent pas. Il est arrivé hier au Luxembourg, se disant dans le secret d’un nouveau ministère, et tout le monde de le questionner. Voici sa liste :
    Président du Conseil : Mme Adélaïde.
    Intérieur : Mme de Boigne.
    Cultes et Justice : Duchesse de Broglie.
    Guerre : Mme de Flahaut.
    Marine : Duchesse de Massa.
    Finances : Duchesse de Montmorency.
    Commerce : Marquise de Caraman.
    Cette bêtise faisait la joie de Paris hier... »