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rester lui-même, de ne pas vouloir être en même temps un homme à expédiens et un homme à principes (comme si les doctrinaires n’avaient pas prôné et pratiqué maintes fois le régime des expédiens depuis 1815 ! ). Et puis, comme il invoquait l’amitié, elle répondait gravement qu’une affection fondée principalement sur l’enthousiasme pour les vertus publiques pouvait changer avec la conduite de celui qui en faisait l’objet. Il se justifia, entra dans les détails : il croyait qu’il fallait se porter au secours de la royauté, plus menacée à ses yeux que la liberté. Quelques jours après (16 juillet 1820), il signa, la mort dans l’ame, la destitution de Royer-Collard, Camille Jordan, Guizot et Barante : triste holocauste à la droite, qui ne pouvait pardonner leur attitude sous le ministre Decazes, leur opposition violente au ministère actuel, et observait qu’on ne peut être à la fois dans la place et dans l’armée assiégeante. Camille Jordan, Royer-Collard, Guizot perdaient leur situation de conseillers d’État. Royer-Collard, Camille Jordan refusèrent avec hauteur le titre de conseiller d’Etat honoraire, augmenté pour le premier d’une pension de 10 000 francs ; Guizot n’acceptait pas davantage une pension sur le ministère des Affaires étrangères. Cette rupture rappelait les scènes pathétiques du parlement anglais au XVIIIe siècle entre Burke et Fox : tout rapport cessa entre de Serre et les doctrinaires.

Le roi enlevait à Barante ses fonctions de directeur général, mais, sur les instances de M. Pasquier, il l’envoyait comme ministre à Copenhague, où il pourrait échapper aux conseils de ses amis et aurait le temps de se calmer ; on faisait encore miroiter à ses yeux l’avenir prochain d’un grand poste tel que Pétersbourg, Après avoir mûrement réfléchi, il refusa. « Je partirais, répondit-il à M. Pasquier, sur la foi de votre modération, et bientôt après je me trouverais sous l’autorité de M. de Villèle et de M, Corbière, qui ne voudraient pas plus de moi que je ne voudrais d’eux : ce n’est pas la peine de me mettre en route. » De 1820 à 1830, il partage son temps entre la Chambre des pairs, ses travaux historiques, une correspondance fort active avec ses amis pendant les longs mois de villégiature en Auvergne. C’est l’époque la plus féconde de sa vie comme publiciste : il s’épanouit dans la plénitude d’un talent que l’étude, l’habitude des grandes affaires, la fréquentation des personnages les plus distingués, n’ont cessé d’accroître, que l’Académie française consacrera en l’appelant à remplacer le défenseur de Louis XVI devant la Convention,