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ans, disait, en connaissance de cause : « Elle n’a de laid que le visage. » Mlle d’Houdetot ne tenait d’elle que le charme de son esprit, et d’ailleurs sa beauté physique égalait la beauté de son âme et la fermeté de ses principes. M. de Barante et elle s’aimèrent, et, le 28 novembre 1811, l’Empereur signait leur contrat de mariage, comme il avait coutume de le faire pour les auditeurs, les préfets et beaucoup de fonctionnaires. Ce fut une longue et heureuse union, pour laquelle on aurait pu répéter la réponse de cette jeune fille qu’un ami détournait de lire des romans : « Défendez-moi donc de voir mon père et ma mère ! »

Quel est le préfet idéal ? La réponse varie beaucoup, selon les temps, les circonstances, les régions, selon que la demande s’adresse aux administrés ou au pouvoir central. Là on réclame de lui de bonnes élections, ici qu’il ne fasse pas d’affaires au ministre : dans tel département, il faut ménager certains personnages, frapper rudement les adversaires ; dans tel autre, il convient de rendre les rênes, d’user de conciliation : quelquefois la politique des bons dîners et des soirées réussit ; ailleurs la politique de recueillement, d’effacement, produit de bons résultats. De 1809 à 1814, le recrutement absorbe les préfets : des soldats, des soldats et encore des soldats, voilà le mot d’ordre ; rien de réglé, l’administration, les officiers ont un pouvoir arbitraire, presque absolu, qui facilite les conscriptions anticipées, le rappel des classes libérées. En souvenir des guerres de Vendée, Napoléon se montre moins exigeant pour les départemens de l’Ouest dont les conscrits, poussés à bout, auraient bientôt fourni d’énormes contingens à la désertion ; aussi la plupart des préfets cherchent-ils à alléger autant que possible l’impôt du sang. Fiévée, publiciste fort spirituel, devenu préfet de la Nièvre, faisait un jour cette remarque qui doit contenir une part de vérité et de paradoxe : « On m’adorait dans mon département, et cela est bien simple : j’ai eu trois conscriptions à lever en un an. »

Quant au directeur général de la conscription, M. de Cessac. il divisait les préfets on quatre catégories : 1° Efforts et succès ; 2° Efforts sans succès ; 3° Succès sans efforts ; 4° Ni succès ni efforts. Il faut croire que Barante figurait dans la première classe, qu’il plaisait au chef suprême autant qu’aux administrés, puisque ceux-ci le regrettèrent profondément lorsque, en 1813, il fut appelé à la préfecture de la Loire-Inférieure, centre et capitale des départemens de l’Ouest. Lui-même, malgré l’éclat d’un tel