Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES
SOUVENIRS DU BARON DE BARANTE

Naître sous l’ancien régime ; assister, jeune encore, à cette tragédie de la révolution dont les principales scènes se gravèrent pour toujours dans la mémoire des spectateurs et des acteurs ; voir défiler pendant l’époque la plus troublée, une des plus glorieuses aussi de notre histoire, sept ou huit gouvernemens qui n’eurent ni les mêmes principes, ni la même grandeur, ne commirent point les mêmes fautes et se ressemblèrent surtout par le fait de leur chute ; servir trois d’entre eux dans des positions élevées, en se montrant toujours égal ou supérieur à celles-ci, sans abdiquer un instant la dignité de sa conscience, sans cesser de posséder son âme et de confesser toutes les vérités morales ; mener de front l’étude, et la vie publique au point de laisser plus de trente volumes dont la moitié au moins se relisent avec plaisir, avec fruit, et justifient le succès qui les accueillit ; être en même temps causeur exquis, parfait honnête homme, comme on disait au XVIIe siècle, aimer la bonne compagnie, devenir l’ami, le correspondant des personnes les plus distinguées, — ces traits d’ensemble expliquent sans doute que la carrière du baron de Barante pique la curiosité, et qu’on ait envie d’en rappeler les principales étapes. N’est-il pas intéressant de savoir comment on arrive à conjurer les caprices du hasard, à naviguer entre les écueils de la politique, à se concilier l’estime et l’affection universelles, tout en gardant l’indépendance de sa pensée ? N’est-ce pas nous-mêmes, nos inquiétudes, notre idéal, notre psychologie, que nous retrouvons dans ces confessions sincères d’un écrivain qui n’éprouva jamais le besoin de s’absoudre, ni la tentation d’accuser les autres ?